Introduction au groupe
Si le
terme « groupe » est un mot récent dans les langues européennes (XVIIe
siècle), la notion de groupe était reconnue depuis l’Antiquité. De même, les
vertus thérapeutiques du groupe, ses fonctions de développement et de maintien
de la vie psychique, son pouvoir de protection et de défense en échange d’un
contrat d’appartenance au groupe, étaient connus et utilisés depuis très
longtemps.
L’étymologie
même du mot « groupe » donne d’ailleurs des indications quand à
l’essence du groupe : en italien « gruppo » signifiait
« noeud » avant de devenir « assemblage » puis
« réunion » tandis qu’en langue germanique, « Kruppa »
signifiait « rond ». Le terme « groupe » reposerait donc
sur les notions de liens et de cercles qui sont particulièrement opérantes sur
la nature des groupes et les phénomènes de groupes, notamment dans le champ
thérapeutique.
Le terme
« groupe » est donc récent dans l’histoire des langues, notamment
parce que le concept objectif de groupe fut gêné par des préjugés individuels
et collectifs : la notion de groupe est inexistante pour la plupart des
sujets ; le groupe est éphémère, dominé par le hasard et seules existent
les relations interindividuelles. Paradoxe intéressant quand on sait que le
groupe peut faciliter la re-création de lien, redonner confiance à la personne
individuelle et donc la re-subjectiver.
Mais comme
le souligne Didier Anzieu, la résistance au groupe viendrait également de la
difficulté générale chez tous les êtres humains à se décentrer. Il existerait
deux perceptions contradictoires du groupe : d’un côté, on est plus
ensemble que séparément et le groupe est un intermédiaire entre l’individu et
la société. Mais d’autre part, le groupe peut signifier une aliénation pour la
personnalité individuelle. Le groupe est alors perçu comme dangereux pour la dignité,
la liberté, l’autonomie… Le groupe ne peut et ne doit alors être vécu que
totalement.
Le groupe
peut aussi être vécu par ses membres comme quelque chose de naturel,
inévitable, permanent. Surtout, il est considéré comme antérieur et supérieur à
l’individu. Le groupe est un fait global dont le membre est une partie interne,
assez indistincte. La partie tend à la fusion dans le tout : le membre ne
se pose pas de questions sur le groupe, il le vit dans, par et pour le
groupe : groupe où l’on entre par la naissance, le travail en commun, les
distractions en commun, la production en commun… Un peu à la manière des clans,
tribu, famille, l’individu isolé du groupe pour une raison ou une autre ne sait
pas et/ou ne peut pas survivre.
Le fait
d’être membre d’un groupe, et ce, dès la naissance, demande d’intégrer
psychiquement les lois du groupe qui ont la forme d’obligations et d’interdits.
D’un point de vue général, ainsi que l’a supposé Freud, la psychologie des
masses est plus ancienne que la psychologie individuelle. En d’autres termes,
le groupe nous précède bien avant notre naissance et lorsque nous naissons,
nous n’avons pas d’autre choix que d’être assujetti au groupe.
En fait,
le groupe présente deux aspects contradictoires, positif et négatif : il
protège l’individu mais celui-ci se trouve alors soumis à un contrat qui peut
devenir aliénant. René Kaës résume parfaitement cet aspect ambivalent du
groupe : « C’est dans les groupes que s’établissent et se
transmettent les contrats qui organisent les savoirs communs, les idéaux
partagés, les systèmes de défense et de protection mutuels. Dans toutes les
sociétés et à toutes les périodes de l’histoire, le groupe a été utilisé comme
outil de production et de reproduction de la vie psychique, des valeurs
morales, des savoir-faire, de la richesse des idées… Son rendement est alors
estimé supérieur à celui de la somme des énergies individuelles. Prise de
conscience collective de cette propriété opérée au début du XXe
siècle, lorsque l’instrumentalisation du groupe s’est mise au service des
besoins de l’industrialisation. Une force dynamique du groupe est reconnue à la
fois dans ses aspects positifs et négatifs ».
Le groupe thérapeutique
Si le
terme « groupe » apparaît donc au XVIIe siècle, ce n’est
qu’à partir du XIXe siècle qu’il va connaître une entrée en force
dans le langage courant en Occident pour désigner et s’appliquer à tout
ensemble partageant un but commun. Les changements économiques et sociaux,
notamment la révolution industrielle, avec la phase d’industrialisation sans
précédent qu’elle a engendré, contribuèrent à accentuer cette tendance.
Sur le
plan thérapeutique, on attribue à Joseph Hershey Pratt la paternité de la
psychothérapie de groupe lorsqu’en 1905, pour des questions d’ordre
économiques, il eut l’idée de re-grouper des personnes atteintes de la
tuberculose. Avec le temps, il constata qu’une influence thérapeutique
s’exerçait sur les patients entre eux. Ce fut le début d’une prise de
conscience que le lien intersubjectif soignait et par extension, qu’il devenait
une alternative à l’isolement. La pratique allait montrer plus tard que le
groupe représente une enveloppe psychique contenante qui joue dans le
traitement de certains patients : cette enveloppe reçoit les fantasmes,
les identifications qui vont permettre à la fois au sujet d’être et de sentir
une appartenance à ce groupe.
Mais c’est
véritablement Freud qui, par l’émergence de la psychanalyse, va donner à la
notion de groupe toute sa consistance et sa force dans le champ thérapeutique.
Il va engager ses recherches avant la Première Guerre Mondiale et ses travaux
vont être repris et développé après la Seconde Guerre Mondiale par des
chercheurs américains et européens essentiellement. Pour être plus précis,
jusque dans les années 1940, les recherches menées sur le groupe portent sur
l’intérêt du groupe dans la thérapie de l’individu et le groupe apparaît comme
une autre forme de thérapie. Et c’est après 1940 que les recherches s’orientent
vers une vraie invention psychanalytique du groupe comme entité, notamment avec
les travaux de Bion et Foulkes.
C’est à
travers trois ouvrages majeurs, synthèses de ses travaux et recherches, que
Freud va initier le concept de groupe et analyser la formation et les processus
qui rendent compte de la réalité psychique du groupe.
Dans Totem
et tabou, écrit en 1913, Freud initie le concept de groupe et fait
l’hypothèse d’un fonctionnement psychique propre au groupe. A travers le mythe
de la horde primitive, il élabore une métaphore qui rend compte de la formation
du groupe : à l’origine de l’humanité, il y avait une horde primitive, un
groupement humain sous l’autorité d’un père tout puissant qui avait seul accès
aux femmes. On présuppose alors que les fils du père, jaloux de ne pouvoir
posséder les femmes, se rebellèrent et le tuèrent, pour le manger en un repas
totémique. Une fois consommé, le remord se serait emparé des fils rebelles, qui
érigèrent en l’honneur du père, et par peur des représailles, un totem à son
image. Afin que la situation ne se reproduise pas et pour ne pas risquer le
courroux du père incorporé, les fils établirent des règles, correspondant aux
deux tabous principaux. Ces deux tabous débouchèrent sur la mise en place d’un
pacte : le renoncement à la possession de toutes les femmes (inceste) et
l’interdit du meurtre. Pacte résultant de l’échec, par incorporation, de
l’introjection des qualités du père mort en chacun. Freud met ainsi en lumière
le premier modèle du groupe basé sur l’incorporation.
Dans Psychologie
des masses et analyse du Moi, en 1921, Freud propose un second modèle du
processus psychique du groupe à savoir l’identification. Cette identification
prend naissance dans l’idéal du Moi transféré dans une figure idéalisée (le
leader) qui implique un abandon des idéaux de l’individu et une perte de ses
objets d’identification. Freud parle alors « d’esprit de corps ». Le second
modèle du groupe est donc basé sur l’identification.
Enfin,
dans Le Malaise dans la civilisation, en 1929, Freud élabore un
troisième modèle basé sur le renoncement mutuel à la réalisation directe des
buts pulsionnels. En échange de la protection garantie par le groupe, le sujet
renonce à ses pulsions.
Selon René
Kaës, ces trois modèles fournissent les bases du développement ultérieur des
théories psychanalytiques du groupe. Ils contiennent trois hypothèses
fondamentales :
-
L’hypothèse
d’une organisation groupale de la psyché individuelle.
-
L’hypothèse que
le groupe est le lieu d’une réalité psychique spécifique.
-
L’hypothèse que
la réalité du groupe précède le sujet et la structure.
Après la
Seconde Guerre Mondiale, en Angleterre, les psychiatres Wilfried Ruprecht Bion
et Sigmund Heinrich Foulkes, confrontés aux problèmes des névroses traumatiques
et aux limites de la cure individuelle pour faire face aux urgences, commencent
à penser le groupe thérapeutique. Ils mettent notamment à jour les phénomènes
groupaux telle que la dimension imaginaire dans les groupes et abordent la
psychothérapie analytique du groupe. Leurs recherches auront une influence
importante sur l’application des psychothérapies groupales dans les
institutions. Bion axe principalement ses travaux de recherches sur la question
du niveau émotionnel au sein des petits groupes tandis que Foulkes élabore
l’analyse de groupe comme moyen de traitement qui combine la compréhension
groupale et l’analyse individuelle.
Mais c’est
à partir des années 1960 que se développe véritablement une théorisation sur
les groupes dus aux mouvements sociaux et aux changements de repères qui
influent sur les relations et les liens intersubjectifs dans les groupes (la
notion de groupe touchant aussi bien la famille, les institutions,
collectivités, entreprises… et même la question de la nation avec la question
du « vivre ensemble »). C’est ainsi que des techniques groupales sont
expérimentées, notamment par Jean-Bertrand Pontalis, Didier Anzieu et René Kaës
qui reconnaissent au groupe sa valeur d’objet psychique pour les sujets qui le
composent. C’est dans ce contexte que naît l’école française psychanalytique de
groupe et que des concepts originaux autour du groupe voient le jour.
Publié par Dikann
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.