mardi 27 décembre 2016

La psychoboxe / Partie 2



Pour une approche alternative de la violence

Article de Mariette Kammerer


La psychoboxe – à travers la pratique et l’analyse de combats de boxe - permet une approche psychocorporelle de la violence, qui peut intéresser les institutions et personnels éducatifs concernés par cette problématique. Richard Hellbrunn, psychologue, inventeur de cette pratique, forme un groupe de tra-vailleurs sociaux russes venus de Sibérie.

Galina Mallicheva, stagiaire, armée de gants de boxe, n’hésite pas à frapper le ventre et les épaules de Richard Hellbrunn, formateur. Bien ancrée sur ses appuis elle se défend avec ardeur et termine le combat par un sourire triomphal : « Je me suis sentie beaucoup mieux que la première fois ; j’étais plus solide, je me suis moins laissée envahir », explique-t-elle en langue russe, traduite par une interprète. Les stagiaires spectateurs sont également soulagés : lors d’un précédent combat, le malaise de Galina était si perceptible qu’une autre stagiaire avait fondu en larmes, choquée par la violence qui s’en dégageait.

Des coups à la parole

La violence est le thème de cette semaine de formation, animée à Paris par Richard Hellbrunn, inventeur de la psychoboxe. C’est la première fois qu’il forme un groupe venu de Russie. Psychologue clinicien, psychanalyste et professeur de boxe, il pratique la psychoboxe depuis trente ans, en parallèle de son travail en cabinet. « Il s’agit de passer par la dimension corporelle – à travers des combats de boxe d’une minute trente à frappe atténuée – pour arriver à la parole, résume-t-il, c’est une application psychanalytique au même titre que le psychodrame, par exemple. » Le psychologue l’utilise dans le cadre de thérapies individuelles avec des auteurs ou victimes de violence, et dans le cadre de formations continues avec des groupes d’éducateurs. Il a longtemps formé des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre de la « mission violence ».

Les six stagiaires russes sont assistante sociale, médiatrice, psychologue, juriste… Elles occupent pour la plupart des postes de cadres et formatrices dans différentes structures sociales en Sibérie, publiques ou associatives, qui interviennent auprès de familles en difficulté, d’enfants placés, de jeunes délinquants ou de victimes de violences. « Nous voulons faire changer les pratiques éducatives dans ces institutions et introduire des méthodes alternatives de traitement de la violence, nous pratiquons déjà la médiation et nous voudrions développer la psychoboxe », explique Mariana Sadovnikova, directrice de l’association Uventa. La section internationale du Secours catholique, qui soutient cette association et ce projet, a financé le voyage en France et la formation.

Langage du corps

La semaine commence par des apports théoriques sur le thème de la violence et du conflit dans le champ psychanalytique : qu’est-ce qu’une situation violente, un traumatisme psychique ? Quelle différence entre un acte manqué, un accident, un passage à l’acte ? Comment un sujet peut-il être dépassé par un acte qu’il commet ? « Je me suis aperçu que les stagiaires russes n’ont pas du tout ces références-là, car la psychanalyse, longtemps interdite en Russie, y est encore peu connue », souligne le formateur. Il explique également l’image inconsciente du corps, théorisée par Françoise Dolto, le concept de « débordement », propre à la psychoboxe, ainsi que le cadre et le code déontologique lié à cette discipline. Les discussions théoriques sont entrecoupées d’applications pratiques, c’est-à-dire de combats de boxe d’une minute trente avec le formateur, que le stagiaire peut interrompre à tout moment.
« Ces combats sont l’occasion pour les stagiaires d’expérimenter, dans un cadre sécurisé, une situation où ils sont débordés et doivent mobiliser des défenses », explique Richard Hellbrunn. Chaque combat est suivi d’un débriefing où chacun, boxeurs et spectateurs, doit exprimer ce qu’il a observé : les mouvements du corps, la distance à l’autre, la stratégie de défense, mais aussi les affects, les émotions ressenties. «  En formation, la psychoboxe est utilisée pour ouvrir à la réflexion sur le langage du corps et réarticuler l’angoisse, l’acte et la parole », ajoute le spécialiste. Pour des éducateurs confrontés à des situations violentes au quotidien quelques séances de psychoboxe les aident à adopter une attitude différente pour mieux se protéger, ne pas induire ou aggraver des situations violentes, ne pas pousser un jeune au passage à l’acte, par exemple.
L’objectif des stagiaires russes est différent : « Nos personnels peuvent être assez violents avec les jeunes et nous voulons les initier à la psychoboxe pour qu’ils changent de comportement », explique Mariana. « Pendant le combat, l’adulte est placé dans une position d’enfant sans défense, il vit la violence dans son propre corps et peut mieux comprendre le vécu de ces jeunes », ajoute Ludmilla Triatiakova, psychologue à Uventa. Alors que les institutions répondent le plus souvent à la violence des jeunes par l’exclusion ou l’enfermement, une simple initiation des équipes à la psychoboxe peut ouvrir un nouvel espace d’écoute sur le rapport des jeunes à leur propre violence, comme l’explique Richard Hellbrunn.
Dans un second temps, l’idée est que les jeunes eux-mêmes puissent pratiquer la psychoboxe dans l’institution. « Avec des jeunes violents, cette pratique peut les amener à contrôler leurs mouvements, à limiter leur puissance de frappe, à analyser leur comportement et à parler de leur propre violence », explique le formateur. « Avec les délinquants comme avec les victimes, il est très difficile de les faire verbaliser leurs émotions, leur colère ; cette approche nous permettrait de travailler sur la violence résiduelle, archaïque », ajoute Ludmilla qui, avant Uventa, a travaillé vingt ans dans des prisons pour mineurs. Mais avant de pratiquer la psychoboxe avec des jeunes, les éducateurs devront se former pendant un à deux ans et prévoir ensuite une lecture clinique des combats par un psychologue, « car la psychoboxe n’est pas seulement une technique de maîtrise de soi, il est important de bien la relier aux concepts psychanalytiques », souligne Richard Hellbrunn. Le formateur a conquis son public et il est attendu en Sibérie l’hiver prochain pour une première session de formation avec les personnels de terrain de ces institutions.

samedi 17 décembre 2016

La psychoboxe / Partie 1



La psychoboxe est une thérapie à médiation autour de la boxe anglaise. Richard Hellbrunn est à l’origine de ce concept. Cette thérapie, particulièrement adaptée pour les personnes en détention, peut être aussi un soin complémentaire dans le cas de nombreuses pathologies. Plus largement, elle peut s'adresser à tous ceux qui cherchent à comprendre voire à diminuer la violence qu'ils portent en eux. 

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"La psychoboxe pour comprendre sa violence"
Interview de Richard Hellbrunn par Alain Sousa pour le site Doctissimo.





Nous avons tous en nous une part de violence ! C'est ce que souligne Richard Hellbrunn dans son livre "A poings nommés, la violence à bras le corps". Psychanalyste, psychologue clinicien et professeur de boxe française, il propose depuis plus de 25 ans une prise en charge particulière, pour les auteurs de violence mais aussi les victimes : la psychoboxe.


Selon vous, y-a-t-il une recrudescence réelle de la violence dans notre société ?


Je suis mal placé pour juger d'une hausse réelle de la violence dans notre société. Il faut être sociologue ou criminologue pour pouvoir évaluer le phénomène. Néanmoins, la violence et les crimes ne semblent pas très nombreux en France : nous sommes relativement en sécurité dans l'hexagone. Certes, il faut peut-être relativiser, car certaines violences peuvent ne pas donner lieu a des plaintes. Au quotidien, il est vrai que les violences verbales, et l'agressivité de manière générale sont très répandues. Mais cela est biaisé par l'écho important qu'ont les évènements violents dans les médias. Car cela interpelle les lecteurs et spectateurs. La violence fascine, bien plus que le sexe ! Les gens oscillent entre attirance et dégoût, cela met en jeu l'homme et la peur de la mort.


Justement, les médias et notamment la télévision ont-ils un rôle dans la violence quotidienne ?


On peut tenir un double raisonnement par rapport aux fictions ou aux médias. D'un côté, il est clair que la vision d'images violentes peut inciter quelqu'un à agir, en lui servant d'exemple. Je pense notamment aux violences urbaines. De même, un ado peut être tenté de s'identifier à un personnage de film ou de série, ce qui va faciliter le passage à l'acte. Mais il peut également y avoir l'effet inverse ! Un film violent peut servir d'exutoire, et permettre de se substituer à l'acte. Certes, il est sûr qu'un enfant qui est laissé par ses parents huit heures par jour devant la télé, sans que l'on lui permette de prendre du recul par rapport à ce qu'il voit, va être influencé. Mais dans ce cas, le responsable est surtout le vide familial. Mais il ne faut pas jeter forcément la pierre aux médias : de tout temps l'homme a réclamé de la violence ! Les jeux du cirque de l'antiquité ou les exécutions publiques au moyen-âge étaient des spectacles d'une violence extrême, dont les gens raffolaient. Les médias donnent aujourd'hui aux gens ce qu'ils souhaitent voir !


Donc selon vous, chacun de nous possède une part de violence ?


On peut essayer de prétendre que la violence n'existe pas chez soi, mais uniquement chez les autres. Et ces autres seront alors des "plus sauvages" que soit, ou des gens malades qu'il faudra guérir… Mais selon moi, nous avons tous en nous des fragments de destructivité, qui seront tournés vers nous ou vers l'extérieur. Certains vont l'exprimer directement sous forme de violence, d'autres vont l'exprimer de manière indirecte, par l'argent, la manipulation, le pouvoir…

Mon travail consiste à aider les gens à explorer cette part de violence qu'ils ont en eux. Je travaille par exemple avec des personnes qui sont en prison pour meurtre. Or certaines ont en eux cette violence de manière consciente. Ils échafaudent sans cesse des scénarios violents et ont parfois peur de sortir pour ne pas risquer de tuer quelqu'un ! Alors que d'autres ont tué sans jamais avoir eu une seule pensée violente !


Mais d'où vient ce passage à l'acte ? Certains accusent une éducation trop permissive, peut-être liée à l'après mai 68…


L'origine de la violence peut-être très différente selon les cas. J'ai des patients par exemple qui ont été maltraités, écrasés par des figures paternelles brutales. Un jour, ils vont se réveiller. Soit ils vont se retourner contre le père (en le frappant ou même en le tuant), et le problème va alors se régler au sein du cercle familial. Soit ils vont s'attaquer à tout ce qui représente pour eux le père. Ils vont alors s'attaquer à l'autorité et ses représentants (violence envers les professeurs, les éducateurs…).

D'autres, à l'inverse, n'ont jamais été frappés. Au contraire, on ne leur a jamais rien interdit, jamais montré de limites. Lorsqu'ils rencontrent le non, ils explosent. Cela passe par la violence envers les autres mais aussi des destructions personnelles.


Vous-même avez mis en place une prise en charge particulière, la "psychoboxe". En quoi consiste-t-elle exactement et à qui s'adresse-t-elle ?



La psychoboxe est un travail que je mène depuis 25 ans. Il s'agit d'un combat de boxe anglaise, dans lequel les coups sont atténués. Ce n'est donc pas un combat sans limite, et il ne s'agit pas d'un exutoire. Le but est d'explorer sa violence, avec un partenaire en face de soi et un observateur extérieur. A l'issue du combat, les trois personnes se retrouvent pour parler de ce qu'ils ont vécu. La phase d'analyse permet d'exprimer les émotions et le ressenti. Cela permet en général de retrouver des repères. Il s'agit d'une psychanalyse, dans lequel le divan va être remplacé par un ring ! Au lieu de les allonger, je les mets debout ! Mais le processus reste le même que celui d'une psychanalyse plus classique. Cette méthode s'adresse à des gens très violents. Je travaille notamment avec de jeunes adultes qui sont en prison ou des adolescents qui sont sortis du système. Il ne serait pas possible de les prendre en charge par une psychanalyse "classique", dans une pièce avec un thérapeute ! Mais je travaille également avec ceux qui vont être confrontés quotidiennement à la violence : encadrement pénitentiaire, éducateurs… Quelquefois, je suis amené à travailler également avec des victimes de violence.


Quel recul avez-vous sur cette méthode ?


Depuis 25 ans, la psychoboxe a fait ses preuves. D'ailleurs, une vingtaine de praticiens en France la pratiquent aujourd'hui. Mais je tiens à préciser que cette méthode ne vise pas à changer les comportements, mais à aider les gens à comprendre ce qui se passe en eux, à trouver des repères. Souvent il y a une grande souffrance derrière la violence, que la psychoboxe peut aider à comprendre. Il est vrai qu'en pratique, la prise en charge va diminuer la violence chez les patients, mais ce n'est pas le but premier.