lundi 20 janvier 2014

Art-thérapeute & Art-thérapoète



L’art-thérapeute, garant du cadre


De manière générale, l’art-thérapeute est garant du fonctionnement et des règles de l’atelier d’écriture. Dépositaire du cadre contenant de l’atelier, il rythme les séances et, notamment avec les différents temps :
-      Le temps d’accueil
-      Le/les temps de création
-      Le temps de paroles et d’échanges
-      Le temps de séparation

Le rôle de l’art-thérapeute est avant tout d’accompagner le groupe et de garantir son bon fonctionnement. Cela s’appuie sur un sentiment de confiance partagé entre l’art-thérapeute et le groupe, mais également entre l’art-thérapeute et chacun des patients, une véritable empathie, une attitude chaleureuse et positive. Ce qui n’exclut pas la distance indispensable qui permet à l’art-thérapeute de « recentrer » les patients sur leurs productions textuelles et donc sur eux-mêmes.



L’alliance entre l'art-thérapeute et les patients

Dans ce cadre enveloppant, l’art-thérapeute « voyage » entre les patients, il est à l’écoute. Il se place en vacance psychique (« vacances psychiques») et se fait « facilitateur » : il facilite le déroulement des séances, par exemple en favorisant la prise de parole ou en les recentrant afin qu’ils restent en « contact avec leur création »... Mais l’art-thérapeute n’intervient jamais dans la production textuelle proprement dite et s’interdit toute intervention corrective. Il facilite le « laisser jouer » et « reprend la place de la mère ».

Dans un atelier à médiation plastique et /ou d’écriture, il serait plus juste de parler d’une « alliance » entre l’art-thérapeute et les patients. L’art-thérapeute essaie d’amener chaque patient à prendre conscience de ses possibilités et donc de sa possibilité à solutionner ses problèmes psychiques. En accompagnant les patients, il joue également un rôle de témoin qui prend une dimension psychanalytique. Quand les patients créent, l’art-thérapeute observe leur processus créatif, leurs expressions, les gestes, les élans, les pulsions, les hésitations, les blocages. L’art-thérapeute se fait le témoin des effets que l’acte de créer produit, aussi bien sur le patient lui-même que sur les autres patients. C’est ainsi que l’art-thérapeute se fait le témoin de ses propres impressions et réactions, émotionnelles et psychiques, suscitées tant par les processus créatifs dans lesquels les patients s’engagent que par les créations qu’ils produisent. L’attention portée par l’art-thérapeute à ses propres réactions lui permet alors de mieux comprendre la réalité psychique du patient. Il l’éprouve à l’intérieur de lui-même ce qui, de facto, lui permet d’avoir ainsi une connaissance intime de l’expérience subjective de chaque patient.

Au cours de la séance, l’art-thérapeute est à la fois présent et absent. C’est un accompagnateur d’un moment possible tout en étant en retrait. La neutralité et l’empathie de l’art-thérapeute favorisent chez les patients le transfert de leurs relations primaires infantiles sur la personne de l’art-thérapeute : une projection notamment de l’image de la mère, ou du père ou de quelqu’un de proche qui avait un rôle à la fois de protection et d’autorité. D’autant plus que l’art-thérapeute est souvent un soignant qui « suit » les patients en dehors de l’atelier à médiation plastique et/ou écriture. Dans certains cas, l’art-thérapeute et les patients, à travers les rapports de transfert/contre-tranfert qui s’établissent entre eux, recréent une sorte d’histoire familiale.

Dans le cadre d’un atelier pensé comme éprouvette psychique, l’art-thérapeute est directement impliqué dans la production du sujet et re-crée donc une relation qui soigne. Mais ce qui est fondamental, c’est que chaque patient soit conscient, à différents niveaux, que sa souffrance est le produit d’un complexe relationnel inconscient que seule l’expérience d’une relation thérapeutique peut traiter. Nous retrouvons ainsi la notion fondamentale, l’essence même de l’art-thérapie car c’est notamment ici que se situe la différence avec l’activité artistique proprement dite.




L’art-thérapeute, facilitateur

Dans un atelier à médiation écriture, à chaque séance, le thérapeute propose de tirer le fil de l'imaginaire, de la  mémoire ou de la réalité. On joue avec le langage, on crée des personnages, on commence à écrire une histoire. Le thérapeute se doit d’encourager la prise d’écrit qui peut entraîner la prise de parole dans un lieu d’émulation tel que l’atelier d’écriture. C’est  donc à l’art-thérapeute de favoriser l’acte d’écrire, de rendre dicible ce qui est encore indicible, de faire exprimer ce qui n’est pas exprimable au premier abord. C’est aussi à l’art-thérapeute d’inciter à la transformation du cri en écrit. Tout comme il est de son ressort de favoriser la lecture des écrits et l’échange. C’est enfin à l’art-thérapeute de savoir lever les défenses des participants, de les inciter, tout en étant dans l’évolutif.

Mais si l’atelier d’écriture est un espace dédié à l’expression écrite, il est aussi et avant tout un espace d’écoute, une écoute qui ne soit pas un jugement, une façon de prendre acte de paroles, sans prêter le flanc à l’interprétation. L’un des objectifs de l’art-thérapeute est donc également de développer la qualité d’écoute de l’atelier d’écriture et de re-constituer des stratégies d’écoute.


Au sein d’un atelier d’écriture, l’art-thérapeute doit comprendre et analyser le lien qui existe entre l’écriture et la névrose et/ou la psychose, l’écriture étant alors utilisée comme une médiation. Le rôle de l’art-thérapeute est alors d'aider chacun à déconstruire l'histoire qui le met en échec et le conduire à édifier une nouvelle réussite dans laquelle il a pleinement conscience qu'il est acteur de sa vie et apprend à la projeter.

En cela, il convient de penser l’aspect ludique de l’atelier d’écriture, notamment en introduisant des contraintes stimulantes, notamment sous forme de jeux. Ces exercices peuvent ainsi permettre de lever les défenses des participants, de les inciter, tout en étant dans l’évolutif. Il convient donc de créer les conditions pratiques de la détente, tout en respectant les enveloppes protectrices de chacun. Il ne s’agit pas de s’intéresser aux histoires personnelles des patients mais bien plutôt de leur faire découvrir le plaisir de se re-mémorer.

Être art-thérapeute en atelier d’écriture, c’est aussi savoir, à travers des thématiques suggérées, s’éloigner des préoccupations premières des participants, pour y revenir à d’autres moments, dans un mouvement permanent d’éloignement et de rapprochement, c’est trouver une bonne distance qui doit être sans cesse ré-évaluée. Le thérapeute doit être présent et attentif, il doit aussi savoir renoncer et rebrousser chemin. C’est être là et parfois indiquer une route, un chemin à suivre, sans imposer.



Ethique et po-étique de l’art-thérapeute

« Même si je suis malade, j’ai encore la liberté de choisir si j’accepte ou non de confier ma psyché à un art-thérapeute. Et je ne vais pas laisser n’importe qui s’occuper de ma psyché ». Cédric, un patient psychotique.

Par la qualité rhétorique de son propos, Cédric avait mis en évidence un logos essentiel, autrement dit un raisonnement fondamental, dans le champ de l’art-thérapie : l’art-thérapeute n’existe que par le patient et l’art-thérapeute doit privilégier avant toute chose le soin de la psyché du patient. D’où l’importance du cadre et des modalités d’intervention de l’art-thérapeute lorsqu’il anime un atelier, aussi bien en individuel qu’en groupe.

Il est donc question ici de l’éthique de l’art-thérapeute, une éthique déontologique, dans le sens où elle établit des critères précis pour agir dans une situation pratique et fait le choix d’un comportement dans le respect de soi-même en tant que praticien, et d’autrui en tant que patient(s). Il s’agit bien, dans le cas de l’art-thérapie, d’acquérir un savoir, savoir-faire et savoir-être, pour le mettre en pratique avec la conscience d’une action responsable au service de personnes en souffrance, physique, psychologique, psychique.

L’art-thérapeute a donc des devoirs face aux personnes qu’il accompagne, dont le premier est de prendre soin de sa psyché. Mais en « prendre soin », c’est avant toute chose y prêter attention sans chercher à expliquer, sans chercher à percer un mystère : c’est donc défendre l’éthique du sujet de l’inconscient sans être obsédé par une pseudo-analyse de la psyché projetée sur une feuille de dessin ou une toile.

Lorsque l’art-thérapeute souhaite proposer un/des projet(s) collectif(s), il doit toujours y avoir en amont une évaluation sur la possibilité ou non de solliciter les psychés de chaque membre du groupe. Solliciter dans le cas présent, c’est convier, stimuler, provoquer l’intérêt, éveiller la curiosité. L’inverse d’imposer, voire de forcer. A telle enseigne qu’il suffit qu’un seul membre du groupe refuse ou s’y oppose pour que le projet ne soit pas mis en chantier. En d’autres termes, il n’est jamais question de soumettre un groupe à un projet de création collectif mais bien plutôt de lui proposer un jeu collectif, de l’initier à ce jeu et de voir s’il prend goût à se l’approprier. Nous insistons sur ce point car il nous semble capital et en opposition complète avec certaines méthodes d’art-thérapie à médiation plastique qui, en imposant des projets et en édictant des règles par trop rigides et correctives, contraignent des patients à produire de la nouveauté pour de la nouveauté. Ces méthodes obligent les patients voire exercent sur eux une forme de coercition déguisée, ce qui peut induire des effets dévastateurs sur les psychés et potentiellement « démolir » un groupe.

Le rôle de l’art-thérapeute, à l’initiative d’un projet de création collectif, est ensuite de laisser faire le groupe, de prendre du recul et de seulement l’accompagner : présent, absent, témoin, sans aucune intervention corrective, et sans curiosité déplacée, en laissant le groupe vivre pleinement le projet, devenu « son » projet.

De manière générale, le thérapeute est un intervenant tri-partite, écartelé entre le triptyque théorie-clinique-pratique. Ce qui signifie que l’art-thérapie ne s’exerce jamais seule ou de façon isolée. C’est un travail d’équipe et l’art-thérapeute fait partie d’une chaîne de soin. Et l’articulation entre le triptyque théorie-clinique-pratique doit amener l’art-thérapeute à avoir une compréhension raisonnée de la souffrance – physique, psychologique, psychique - qui doit lui permettre à la fois de proposer une politique de soin adapté aux personnes accompagnées et de définir puis de construire un cadre adapté à ces personnes.

Le métier d’art-thérapeute est un « work in progress », où il est nécessaire et indispensable d’établir des ponts, de tisser des liens entre des modèles conceptuels majeurs, des rencontres vivantes avec la clinique et des pratiques d’animation d’un atelier d’art-thérapie à médiation plastique. Et c’est par ces ponts qui nous permettent d’aller-et-venir en permanence entre la théorie, la clinique et la pratique que nous pouvons nous former et nous déformer, nous remettre en cause et chercher. Dans le cas présent, chercher ne signifie pas tester au hasard d’éventuelles méthodes révolutionnaires, mais bien plutôt chercher à exercer la profession d’art-thérapeute dans un cadre profondément pensé, balisé et opérationnel qui soit le plus adéquat, le plus approprié et le plus en phase avec les souffrances des personnes accompagnées afin qu’elles puissent les exprimer le plus possible et ainsi se soulager. L’art-thérapeute est de facto en formation continue. Dès l’instant où il épouse cette trajectoire et qu’il commence à pratiquer, il entre dans un jeu en perpétuel changement, un apprentissage permanent qui ne cesse de l’enseigner et de le renseigner, tant sur le plan théorique, clinique que pratique. Cet état de fait est inhérent à la matière psychique même qui est au cœur de l’art-thérapie.

Mais si l’exercice de l’art-thérapie passe par un va-et-vient permanent entre la pratique et un corpus théorique solide et précis (en l’occurrence la théorie freudienne et la division psychique du patient/sujet, les concepts théoriques liés aux groupes, les concepts de médiation et de créativité), il y a aussi nécessité de faire preuve d’inventivité, de créativité et de poétique dans les méthodologies. Car la poétique occupe une dimension essentielle. C’est ainsi que si nous considérons que le terme « thérapeute » prend sa source dans le grec ancien therapeia signifiant « servir et prendre soin », issu lui-même de theraps, « le serviteur », alors nous postulons qu’en plus d’être art-thérapeute, nous devons également nous définir comme art-thérapoète, « celui qui sert et qui prend soin avec l’art et la poésie ».

S’il s’avère que la poétique n’est pas souvent évoquée en art-thérapie, il n’en demeure pas moins qu’elle occupe une place indiscutable, tant dans l’élaboration d’un projet, dans la définition du cadre que dans la pratique de l’art-thérapie, et plus particulièrement celle à médiation écriture. Il est vrai que la poétique ne se décrète pas et ne s’apprend pas, elle se vit. Dans son ouvrage De la poétique, Aristote nous renseigne clairement : il pense la création artistique comme une production poétique, par opposition à la praxis (la pratique). Nous sommes donc tentés de penser que la poétique se vit d’autant mieux que l’art-thérapeute est lui-même artsite et que dans le cas de l’écriture, il s’adonne lui-même à cette pratique. Car hormis le fait que d’être soi-même artiste et plus particulièrement adepte de l’écriture sous toutes ses formes, la pratique permet de se confronter à la question des mots, du sens et à toutes les possibilités via l’usage des mots et surtout de développer la « plasticité de notre imagination ». En d’autres termes, la fibre fictionnelle et poétique de l’art-thérapeute sera d’autant plus opérante en ateliers d’art-thérapie à médiation écriture que celui-ci aura développé un rapport personnel à la création textuelle.

Mais là encore, la responsabilité de l’art-thérapeute est engagée car il est indispensable qu’il se mette en situation psychique pour s’ouvrir à une disposition poétique. De là viendra sa capacité à favoriser l’éclosion d’espaces intervalaires pour permettre la respiration psychique des patients qui les aidera à percevoir des espaces de fiction, des associations poétiques, ou encore des espaces de symbolisations poétiques.


Publié par Dikann

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