Ce texte a été publié sur le site www.fitram.eu par Jean-Pierre Klein
Jean-Pierre
Klein, Psychiatre Honoraire des Hôpitaux, Docteur habilité à diriger des recherches
en psychologie, Président de la Fédération Internationale de Thérapie et
Relation d’Aide par la Médiation (Conseil de l’Europe), Fondateur en 1981 de
« Art et Thérapie/INECAT Institut National d’Expression, de Création,
d’Art et Thérapie » www.inecat.org, Fondateur de la Escuela de Arteterapia de Barcelone
linea.
Diagnostic
différentiel de l’art-thérapie et tentatives de définitions
Avant
même de proposer une définition de l’art-thérapie, je vais essayer de dire
synthétiquement ce qu’elle n'est pas, selon moi :
-
L'art-thérapie comme toute psychothérapie n'a pas d'objectif précis, que
celui-ci soit la réduction du symptôme, la socialisation ou une visée
professionnelle. Elle n'est ni rééducation, ni thérapie occupationnelle, ni
ergothérapie, ni sociothérapie. Elle a par contre un projet : le mieux-être,
l’amélioration voire la guérison de la personne. Ne s’attaquant pas directement
à ce qui est à résoudre mais s’adressant à la personne dans sa globalité, elle
n’en est que plus efficace que d’autres « thérapies » qui ne s’adressent qu’au
symptôme à supprimer sans s’apercevoir que sa disparition risque d’en susciter
d’autres en substitution.
-
L'art-thérapie n'est pas un test projectif. Elle ne sert pas à parfaire un
diagnostic. Elle ne sert pas non plus à dévoiler les problématiques de la
personne, par exemple « Ton tableau révèle ta hantise de la mort ! », elle est
déjà leur dépassement dans leur mise en scène, leur figuration complexe dans
une production artistique. Elle ne révèle pas ce qui est, elle ne montre pas ce
qui était déjà là, elle amorce un mouvement vers ce qui peut être, ce qui peut
se représenter dans le symbolique et se mettre en processus d'une création à
l'autre. Pour éclairer cette distinction, je prendrai l’exemple d’un dessin qui
représente la violence d'un monstre sur le héros. Cela peut être perçu par le
thérapeute comme signifiant la violence d’un père réel sur son fils, le dessin
a servi de test pour mieux connaître le patient. Mais l’art-thérapeute préfère
le prendre comme une symbolisation thérapeutique de cette même violence par le
patient lui-même, ce qui le soulage et permet de la dépasser car il est alors «
Sujet », auteur d’une production qu’il nourrit de ses peurs, ce qui l’aide à
les conjurer. Cette perspective est dynamique et va dans le sens des ressources
de la personne pour surmonter elle-même ses difficultés si elle est bien
accompagnée de façon discrète et respectueuse, alors que la première attitude à
visée cognitive, plus statique, est fréquente dans un Occident qui cherche
toujours à tout expliquer plutôt qu’à offrir sa vacuité à l’inconnu, comme le
préconise l’art-thérapie qui respecte l’indicible et se déploie dans la
pénombre.
-
L'art-thérapie ne se limite pas à une expression en vue de décharge et de
soulagement. Elle n'est ni thérapie émotionnelle, ni recherche de catharsis ni
expulsion du mal qui confine à l'exorcisme. Il s'agit en art-thérapie, pour la
personne, moins de découvrir les significations de son œuvre que de poursuivre
le travail de création dans une évolution imprévisible. A la limite, on peut
dire que sa dynamique peut n'avoir pas de fin.
-
L'art-thérapie ne concerne pas que la personne, c'est un combat ou plutôt une
négociation avec la matière : peinture, pâte à modeler, terre, collage,
sculpture, si elle ne s’adresse qu’aux arts plastiques comme á son origine et
dans le présent livre. Mais elle peut aussi faire appel à marionnette,
invention orale ou écrite, voix, musique, gestualité, corps en mouvement, danse,
théâtre, conte, clown, etc. Dans tous les cas, la personne n'œuvre pas
principalement dans l'introspection. L’art-thérapie est une façon de parler de
soi sans dire « je ». La matière est un interlocuteur qui a son caractère, qui
se défend, qui a ses exigences. L’art-thérapeute sert de médiateur entre le(s)
patient(s) et la matière.
-
L'art-thérapie est un projet qui tente de relever le défi de la transformation,
au moins partielle, de la maladie physique ou mentale, du malaise, de la
marginalité douloureuse, du handicap, en enrichissement personnel. La douleur,
le mal, le trauma deviennent des épreuves que la personne doit surmonter, dépasser
pour en faire une étape de son cheminement.
-
L'art-thérapie comme toute vraie thérapie est un accompagnement du travail d'un
Sujet sur lui-même, d’une « autothérapie », avec la particularité qu'il le fait
non en direct mais à travers ses productions soutenues par l'art-thérapeute.
Celui-ci permet que ces productions issues de la personne tracent un parcours symbolique
vers un "être davantage" qui comprend forcément un "aller
mieux". L’art-thérapie se situe entre deux bornes qui sont autant de
tentations dans lesquelles elle ne devrait pas tomber :
- La première borne est la
psychothérapie avec support artistique : il ne s’agit pas d’art-thérapie mais
de la démarche traditionnelle de psychothérapie psychanalytique, à la
différence que le discours qui y est tenu n’analyse pas immédiatement les
rêves, les lapsus, les souvenirs mais passent par des figurations plastiques (autoportrait
par exemple), littéraires (récits de vie), corporelles (représenter sa peur),
sonores (moduler sa plainte)... Cette tentation du modèle psychanalytique est
majeure lorsqu’il s’agit d’un accompagnement individuel.
- La deuxième borne est
l’atelier artistique sans qu’il y ait véritablement projet thérapeutique.
L’hypothèse est que la découverte de la peinture, du modelage ou du collage
suffit en soi sans qu’on favorise une certaine projection de soi et de ses
problématiques dans la matière proposée. Cela se produit principalement lors du
travail de groupe. Le risque est alors de tomber dans l’activité de loisir. Le
piège est alors souvent la tentation du joli stéréotypé, du bon moment passé
ensemble, ou de la réalisation trop conforme à une esthétique attendue, toutes
choses qui peuvent détourner du profond.
Ce
qui m’amène à cette proposition de définition (1) :
L'art-thérapie
est un accompagnement de personnes en difficulté (psychologique, physique,
sociale ou existentielle) à travers leurs productions artistiques : œuvres
plastiques, sonores, théâtrales, littéraires, corporelles et dansées. Ce
travail subtil qui prend nos vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler
les significations inconscientes des productions qu'à permettre au sujet de se
re-créer lui-même, se créer de nouveau, dans un parcours symbolique de création
en création. L'art-thérapie est ainsi l'art de se projeter dans une œuvre comme message
énigmatique en mouvement et de travailler sur cette œuvre pour travailler sur
soi-même. Les interventions d'artistes, de soignants, travailleurs sociaux et
enseignants formés à l’art-thérapie, s'étendent désormais au champ social et
pédagogique et permettent notamment de traiter le problème de la violence
contemporaine. L'art-thérapeute travaille en milieu institutionnel ou en
développement personnel, en libéral ou associatif, en individuel ou en groupe.
Cette pratique commence à s’étendre au monde de l’entreprise.
L’art-thérapie
est une symbolisation accompagnée. On peut simplifier ces définitions par celle
que j’ai proposée au dictionnaire Robert : « Accompagnement thérapeutique
de personnes, généralement en difficulté, à travers la production d’œuvres
artistiques. »
Etapes du
processus
L'une
des interrogations les plus complexes posées par ce voyage en symbolique est la
suivante : Comment faire en sorte que la production figure la personne et ne se
réduise pas à un simple exercice ? Dans l'invention du personnage, la création
d'un tableau ou l'élaboration d'un rythme, comment se peut-il que l'on puisse
travailler sur soi et quelles différences y a-t-il entre ce projet et n'importe
quelle activité artistique ?
La
personne vient consulter pour ses difficultés et de ses souffrances, et voilà
que l’art-thérapeute lui demande de créer artistiquement. Mais comme elle sait
que ce qui lui est proposé est une réponse à sa demande, tout ce qu’elle va y
déployer va être imprégné, de façon plus ou moins directe, de ce qui est à résoudre.
Du coup, elle déplace
à son insu ou non sa problématique, et ce, quel que soit le support (inventions
orale, écrite, plastique, corporelle, musicale, etc. dans le cas de
l’art-thérapie.
Les
séances commencent le plus souvent par une intériorité. On peut l’obtenir
classiquement par une relaxation, une méditation, un voyage imaginaire orienté
(suggestion d’aller visiter imaginairement sa maison d’enfance ou un paysage
dans lequel on se sent bien, etc.) On peut aussi solliciter les sens refoulés, en
particulier l'odorat et le goût, porteurs des premiers émois, ou bien situer
d'abord son corps dans les
dimensions de l'espace qu'il centre ou dans les énergies qu'il émet ou
s'approprie, ou travailler à partir d'un objet investi affectivement, moins
pour en relater la charge émotionnelle que pour tourner autour, le prendre
comme prétexte à description froide « objective », ne s'intéresser qu'à sa
forme, et en nourrir une représentation picturale, une installation, un
collage, que sais-je encore ?
Autre exercice très intense : entendre, les yeux fermés, au centre du groupe, son prénom chuchoté par les autres, véritable bain sonore régressif et être attentif aux images et réminiscences qui surgissent. Mais l’intériorité peut s’effectuer dans un second temps. Je prendrai pour exemple la confrontation à une série de photos de journaux et l’élection d’une qui« fait signe » suivie de la confrontation silencieuse une dizaine de minutes avec cette image. Ces exercices sont le garant que le travail ne va pas se faire dans la superficialité ils permettent une projection dans l’expression dans les langages visuel, sonore, gestuel, corporel, verbal fictionnel,...
Autre exercice très intense : entendre, les yeux fermés, au centre du groupe, son prénom chuchoté par les autres, véritable bain sonore régressif et être attentif aux images et réminiscences qui surgissent. Mais l’intériorité peut s’effectuer dans un second temps. Je prendrai pour exemple la confrontation à une série de photos de journaux et l’élection d’une qui« fait signe » suivie de la confrontation silencieuse une dizaine de minutes avec cette image. Ces exercices sont le garant que le travail ne va pas se faire dans la superficialité ils permettent une projection dans l’expression dans les langages visuel, sonore, gestuel, corporel, verbal fictionnel,...
Le
travail se fait grâce au détour par la création comme processus de
transformation. Il s’effectue dans la matière même de la peinture, dans la
forme, dans le rythme, dans la couleur, dans le mouvement. L’accompagnement par
l’art-thérapeute, le médiateur artistique ou l’artiste intervenant porte sur la
forme que la personne crée : perfectionnement du tableau, du récit inventé, du
passage du cri à la modulation, de la gestualité à une mini chorégraphie, etc.
Elle ne s’attarde pas sur le contenu dans une recherche de ce que la production
signifie (même si l’art-thérapeute le comprend, il le gardera pour lui la
plupart du temps) puisque l’efficacité est de travailler sur ces productions
pour traiter indirectement de ses problèmes, le plus souvent sans s’en rendre
bien compte.
L’aboutissement
sera une création inédite. L’étape suivante consistera en l’impression de la personne
devant ce qu’elle a créé, c’est en quelque sorte le pendant symétrique de
l’intériorité, qui est cette fois intériorisation. Se laisser traverser par la
réception de sa création. Ce peut-être par exemple la vision face à face avec
sa marionnette lorsqu’on lui a mis les billes qui lui servent d’yeux, ou la
façon dont l’œuvre « parle » à la personne, ce que l’agencement des couleurs et
des formes lui provoque comme ressenti, quelles images en surgissent sur la
toile, quelles suggestions pour aller encore plus loin dans une forme plus
complexe ou plus simple, mais plus forte, plus juste et plus saisissante. Le
processus peut alors continuer par un nouveau cycle : expression, accompagnement, création,
impression pour une succession de créations de plus en plus fortes dont on
pourrait dire que l’évolution sert de modèle identificatoire au mouvement de la
personne qui passe du cercle vicieux de sa pathologie à une spirale ascendante,
ce qui suppose un nombre conséquent de séances...
L’art-thérapie
transforme aussi l’artiste intervenant ou l’art-thérapeute en créateur en soins
et irrigue éventuellement sa production artistique personnelle qu’il mène par
ailleurs.
L’art-thérapie
est une façon de dépasser le règne de la parole qui a envahi toutes les psychothérapies
en Europe, ou presque, ou de l’efficacité immédiate comme aux Etats-Unis. En
thérapie créative, la personne s’ouvre à ses mystères et leur donne des formes
énigmatiques évolutives sans réponse totalement intelligible ni surtout
univoque.
L’invention de
l’art-thérapie
Rappelons
d'abord que l'art-thérapie est une invention d'artistes : Le principal est un
peintre qui le premier a parlé d’art-thérapie. Adrian Hill contracte la
tuberculose en 1938 et va en sanatorium où, alité, il dessine les objets à
portée de la main, sa chambre, son opération. Le tableau « La salle de
bains du sanatorium », exposé à la Société Royale des Artistes
Britanniques attire l’attention de la presse. Dès 1941, il lance « La
thérapeutique par l’Art, issue de la thérapeutique par le Travail » (les
majuscules sont de lui). Les positions qu’il soutient dans son livre : L’art
contre la maladie, une histoire d’art-thérapie (2) sont toujours pertinentes,
bien que marquées fortement d’un optimisme lyrique : « Le germe de l’art, une
fois qu’il est fermement dans l’esprit et dans le cœur, est beaucoup plus
difficile à déloger qu’un autre germe qui nous est beaucoup plus familier », « L’art-thérapie
est constructive ». La première règle est « de ne pas copier ». Parfois Adrian
Hill propose une « flânerie » sur le papier avec le crayon, à partir de
laquelle il n’y a plus qu’à se laisser féconder. La « ressemblance » n’est pas
recherchée mais la montée de « la courbe imaginative » et des « vitamines
esthétiques », dans la méfiance envers une approche trop diagnostique, selon
une éthique de grand respect de la personne malade et l’accompagnement de ce
qu’il trouve comme technique personnelle. Le tout est complété par la vision
d’œuvres contemporaines (Picasso), par la venue de sculpteurs ou de
portraitistes qui travaillent devant les patients. La Croix-Rouge britannique
encourage l’expérience, l’étend aux incurables, aux militaires de la Royal Air
Force, aux officiers. Elle organise des expositions. « Lorsqu’il est satisfait,
l’esprit créateur (...) favorisera la
guérison au cœur du malade. Lorsque l’esprit créateur est contrarié, il peut
devenir un ennemi diaboliquement subtil de la paix de l’esprit (...). Celui qui
gouverne son esprit peut guérir sa tuberculose ».
Les questions
posées par l’art-thérapie sont multiples
La
folie peut-elle être créatrice ? L’art un traitement du malheur ? La violence
une force productrice plutôt qu’un passage à l’acte agressif ? Quand l’être
humain touche quelque chose de « juste » pour lui-même ne se trouve-t-il pas
alors dans un projet similaire aux recherches de grands créateurs ? Peut-il se
faire accompagner dans cet itinéraire aventureux ? L’être humain victime, de
ses aliénations peut-il les dépasser dans le territoire du symbolique et par là
même transformer le mal en épreuve pour son cheminement ?
«
Notre plus grande gloire n’est point de tomber mais de nous relever chaque fois
que nous tombons » Confucius
Notes
(1)Klein
J.-P., L’art-thérapie, Paris, France, Presses Universitaires de France,
collection Que Sais-je ?, 1997, 6ème édition 2008 36ème mille,
traduit en espagnol et en japonais.
(2)
Hill A., Art versus Illness, Londres, 1945 ; trad. française L'art contre la maladie.
Une histoire d'art-thérapie, Paris, Vigot, 1947, repris et commenté dans le
numéro 100 de la revue Art et Thérapie, Paris 2008 (3 rue Georges Lardennois,
F75019 Paris)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.