Pour une approche alternative de
la violence
Article de Mariette Kammerer
La psychoboxe – à travers la
pratique et l’analyse de combats de boxe - permet une approche psychocorporelle
de la violence, qui peut intéresser les institutions et personnels éducatifs
concernés par cette problématique. Richard Hellbrunn, psychologue, inventeur de
cette pratique, forme un groupe de tra-vailleurs sociaux russes venus de
Sibérie.
Galina Mallicheva,
stagiaire, armée de gants de boxe, n’hésite pas à frapper le ventre et les
épaules de Richard Hellbrunn, formateur. Bien ancrée sur ses appuis elle se
défend avec ardeur et termine le combat par un sourire triomphal : « Je
me suis sentie beaucoup mieux que la première fois ; j’étais plus solide,
je me suis moins laissée envahir », explique-t-elle en langue russe,
traduite par une interprète. Les stagiaires spectateurs sont également
soulagés : lors d’un précédent combat, le malaise de Galina était si
perceptible qu’une autre stagiaire avait fondu en larmes, choquée par la
violence qui s’en dégageait.
Des coups à la parole
La violence est le thème de cette
semaine de formation, animée à Paris par Richard Hellbrunn, inventeur de la
psychoboxe. C’est la première fois qu’il forme un groupe venu de Russie.
Psychologue clinicien, psychanalyste et professeur de boxe, il pratique la
psychoboxe depuis trente ans, en parallèle de son travail en cabinet. « Il
s’agit de passer par la dimension corporelle – à travers des combats de boxe
d’une minute trente à frappe atténuée – pour arriver à la parole,
résume-t-il, c’est une application psychanalytique au même titre que le
psychodrame, par exemple. » Le psychologue l’utilise dans le cadre de
thérapies individuelles avec des auteurs ou victimes de violence, et dans le
cadre de formations continues avec des groupes d’éducateurs. Il a longtemps
formé des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre
de la « mission violence ».
Les six stagiaires russes sont
assistante sociale, médiatrice, psychologue, juriste… Elles occupent pour la
plupart des postes de cadres et formatrices dans différentes structures
sociales en Sibérie, publiques ou associatives, qui interviennent auprès de
familles en difficulté, d’enfants placés, de jeunes délinquants ou de victimes
de violences. « Nous voulons faire changer les pratiques éducatives
dans ces institutions et introduire des méthodes alternatives de traitement de
la violence, nous pratiquons déjà la médiation et nous voudrions développer la
psychoboxe », explique Mariana Sadovnikova, directrice de
l’association Uventa. La section internationale du Secours catholique, qui
soutient cette association et ce projet, a financé le voyage en France et la
formation.
Langage du corps
La semaine commence par des
apports théoriques sur le thème de la violence et du conflit dans le champ
psychanalytique : qu’est-ce qu’une situation violente, un traumatisme
psychique ? Quelle différence entre un acte manqué, un accident, un
passage à l’acte ? Comment un sujet peut-il être dépassé par un acte qu’il
commet ? « Je me suis aperçu que les stagiaires russes n’ont pas
du tout ces références-là, car la psychanalyse, longtemps interdite en Russie,
y est encore peu connue », souligne le formateur. Il explique
également l’image inconsciente du corps, théorisée par Françoise Dolto, le
concept de « débordement », propre à la psychoboxe, ainsi que
le cadre et le code déontologique lié à cette discipline. Les discussions
théoriques sont entrecoupées d’applications pratiques, c’est-à-dire de combats
de boxe d’une minute trente avec le formateur, que le stagiaire peut
interrompre à tout moment.
« Ces combats sont
l’occasion pour les stagiaires d’expérimenter, dans un cadre sécurisé, une
situation où ils sont débordés et doivent mobiliser des défenses », explique Richard Hellbrunn.
Chaque combat est suivi d’un débriefing où chacun, boxeurs et spectateurs,
doit exprimer ce qu’il a observé : les mouvements du corps, la distance à
l’autre, la stratégie de défense, mais aussi les affects, les émotions
ressenties. « En formation, la psychoboxe est utilisée pour
ouvrir à la réflexion sur le langage du corps et réarticuler l’angoisse, l’acte
et la parole », ajoute le spécialiste. Pour des éducateurs confrontés
à des situations violentes au quotidien quelques séances de psychoboxe les
aident à adopter une attitude différente pour mieux se protéger, ne pas induire
ou aggraver des situations violentes, ne pas pousser un jeune au passage à
l’acte, par exemple.
L’objectif des stagiaires russes
est différent : « Nos personnels peuvent être assez violents avec
les jeunes et nous voulons les initier à la psychoboxe pour qu’ils changent de
comportement », explique Mariana. « Pendant le combat,
l’adulte est placé dans une position d’enfant sans défense, il vit la violence
dans son propre corps et peut mieux comprendre le vécu de ces jeunes »,
ajoute Ludmilla Triatiakova, psychologue à Uventa. Alors que les
institutions répondent le plus souvent à la violence des jeunes par
l’exclusion ou l’enfermement, une simple initiation des équipes à la psychoboxe
peut ouvrir un nouvel espace d’écoute sur le rapport des jeunes à leur propre
violence, comme l’explique Richard Hellbrunn.
Dans un second temps, l’idée est que
les jeunes eux-mêmes puissent pratiquer la psychoboxe dans l’institution. « Avec
des jeunes violents, cette pratique peut les amener à contrôler leurs
mouvements, à limiter leur puissance de frappe, à analyser leur comportement et
à parler de leur propre violence », explique le formateur. « Avec
les délinquants comme avec les victimes, il est très difficile de les faire
verbaliser leurs émotions, leur colère ; cette approche nous permettrait
de travailler sur la violence résiduelle, archaïque », ajoute Ludmilla
qui, avant Uventa, a travaillé vingt ans dans des prisons pour mineurs. Mais
avant de pratiquer la psychoboxe avec des jeunes, les éducateurs devront se
former pendant un à deux ans et prévoir ensuite une lecture clinique des
combats par un psychologue, « car la psychoboxe n’est pas seulement une
technique de maîtrise de soi, il est important de bien la relier aux concepts
psychanalytiques », souligne Richard Hellbrunn. Le formateur a conquis
son public et il est attendu en Sibérie l’hiver prochain pour une première
session de formation avec les personnels de terrain de ces institutions.
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