Interview
de Valérie Grondin, art-thérapeute spécialisée dans l’art-thérapie en soins
palliatifs, mise en ligne sur le site du Centre National des soins palliatifs
et de la fin de vie. http://www.soin-palliatif.org/actualites/ateliers-dart-therapie-aident
Valérie Grondin est l’auteure
d’un mémoire de recherche intitulé « La
fenêtre : ouverture sur le vivant ». Réalisé en 2014, ce mémoire a été préparé dans le
cadre de l’obtention du diplôme d’Art-Thérapeute de l’INECAT
-Institut National d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie. Dans le cadre de l’obtention du
diplôme universitaire « Deuil et travail de deuil », elle a également
soutenu en 2013 un mémoire ayant pour titre "L'accompagnement par la création des personnes en fin de vie et en deuil.»
Pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre
métier d’art-thérapeute ?
L’art-thérapie est un
accompagnement thérapeutique de personnes en difficultés psychiques, physiques,
existentielles ou sociales à travers la production artistique telle que la
peinture, par exemple. Pour la Fédération Française des Arts-Thérapeutes – FFAT,
« l’art-thérapie est une pratique de soin fondée sur l’utilisation
thérapeutique du processus de création artistique. » Brigitte
Gueyraud, art-thérapeute à l’hôpital Bretonneau en psycho-gériatrie, définit
notre pratique en disant que « nous accompagnons une personne de façon à
ce que la production artistique serve de pont entre le monde intérieur et la
réalité extérieure ».
L’art-thérapie en soins
palliatifs est un accompagnement très spécifique. Pour être art-thérapeute en
soins palliatifs, il faut savoir composer avec les extrêmes. L’accompagnement
peut se faire dans l’atelier d’art-thérapie ou dans la chambre, en une seule
séance ou sur plusieurs semaines. La séance peut durer de cinq minutes à plus
d’une heure, en fonction de l’autonomie de la personne et de sa fatigue. Il
peut arriver qu’il n’y ait qu’une séance avec un patient, parfois plus. C’est
un accompagnement de la personne dans le « ici et maintenant », sans
jamais savoir s’il y aura d’autres séances à suivre.
Comment le lien entre art-thérapie et soins
palliatifs s’est-il fait pour vous ?
Pendant ma formation
d’art-thérapeute, j’ai suivi en parallèle le diplôme universitaire « Deuil
et travail de Deuil », sous la Direction d’Emmanuel Hirsch à l’Espace Ethique de Paris Sud. Pour valider ce DU, j’ai écrit
un mémoire « L’accompagnement par la création des personnes en fin de vie
et en deuil » en m’appuyant sur mes stages d’art-thérapeute en unité de
soins palliatifs. En commençant mes formations, je savais que je voulais, à
terme, accompagner les personnes en fin de vie. En tant qu’artiste, j’ai
toujours ressenti le « pouvoir » de la création qui aide à se sentir
vivant en se connectant à d’autres parties de soi-même, à exister autrement
grâce à des sensations fortes et intenses. Les artistes ont souvent évoqué
l’importance de la pratique de leur art à la fin de leur vie et témoigné sur ce
qu’elle leur apportait. Cet apport peut se résumer en deux points : créer
pour se sentir vivant jusqu’au bout et créer pour laisser une trace après sa
mort. Je reste convaincue que ces deux points ne doivent pas rester le
privilège des artistes avec un grand « A ». J’accompagne les
personnes en fin de vie à se mettre dans une posture de créateur, en faisant
l’expérience de la création, en restant dans le plaisir, la découverte,
l’émerveillement, en se laissant aller à se surprendre, en se connectant à des
parties d’elles-mêmes inexplorées et inconnues. Je peux dire aujourd’hui que
les ateliers d’art-thérapie aident les personnes en fin de vie à se sentir
vivantes jusqu’au bout.
Pouvez-vous nous expliquer la démarche que vous
mettez en place avec les patients ? Qui sont les patients auprès desquels vous
intervenez ?
Je dirais qu’il y a avant tout la
nécessité de trouver une forme de justesse : pour entrer et sortir de la
chambre, pour entrer en contact, dans la présence à l’autre, dans sa
temporalité, dans ses silences, dans les consignes, dans l’accompagnement. Le
plus important est d’instaurer un climat de confiance et de détente en étant
présent à l’autre sans idée préconçue. Je pars de la personne, de comment elle
est et je lui propose de vivre une expérience artistique sans savoir à l’avance
où nous allons. L’objectif n’est pas d’arriver à un résultat prédéfini en début
de séance car le principe de l’art-thérapie, c’est d’accompagner la personne à
partir de sa création. Le point commun de toutes les personnes qui se mettent
en posture de création, quel que soit leur état, c’est l’envie, la curiosité de
découvrir quelque chose de nouveau ou alors de se reconnecter à la création, à
des sensations oubliées.
Quelles techniques utilisez-vous ?
Je m’adapte en fonction de la
personne et de ce qu’elle peut ou a envie de faire. Je propose alors de travailler
avec la technique qui me semble la plus adaptée à la personne. J’utilise
l’acrylique, la gouache, le fusain, les pastels gras ou secs, les feutres
pinceaux, les matières comme le cuir, le tissu, le carton, la terre, le
collage, etc. J’utilise le sable avec les personnes très affaiblies.
Quelles que soient les techniques, c’est souvent l’occasion pour la personne
malade de revenir aux sens, à ses sensations.
Comment s’insère votre travail d’art-thérapeute au
sein de l’équipe soignante ? Comment perçoit-elle votre
intervention ?
L’équipe soignante, médecins,
infirmières ou aides-soignantes m’informent des personnes, malades ou proches,
qui pourraient être intéressées par l’art-thérapie. Nous étudions également le
cas des personnes en grande souffrance psychique. L’art-thérapie est une
approche complémentaire de soin pour le confort du malade au même titre que
l’orthophoniste, les psychologues, les kinésithérapeutes, les
socio-esthéticiennes, les psychomotriciennes qui interviennent également à Jeanne
Garnier. C’est un soin non médicamenteux qui s’intègre dans le parcours de soin
des personnes en fin de vie. Par exemple, le cas de madame L. démontre bien
cette complémentarité des soins et cette interdisciplinarité. Les séances se
passaient dans sa chambre. Madame L. était toujours très concentrée sur sa
production, très silencieuse, avec peu de mots et peu de commentaires. Elle
exprimait toutefois à la fin des séances l’envie d’accrocher ses productions.
La psychologue qui suivait madame L. me racontait qu’elle utilisait les
productions accrochées dans la chambre comme support aux séances, car madame L.
exprimait le besoin de faire des commentaires avec des images qui émergeaient.
Les productions étaient le tiers, support des séances avec la psychologue.
Quels bénéfices de l’art-thérapie avez-vous pu
constater pour les patients ? Avez-vous eu des retours des proches
également ?
Il y a avant tout la parole des
patients, leurs mots. Par exemple, madame M. : « Vous savez, on
vient ici pour mourir, mais en faisant ça - elle montre ses dessins -, vous
nous donnez la vie ». Ou encore le témoignage de madame
J. : « Je n’aurais jamais imaginé faire ça à ce moment de ma vie, ça me
donne envie de vivre ». Il y a aussi le témoignage des
proches. Par exemple, madame L. est venue le lundi à l’atelier pour sa séance
d’art-thérapie après deux détresses respiratoires dans le week-end. Sursaut de
vie, bouffée d’oxygène après des moments « compliqués » comme elle me
l’expliquait l’air de rien. Le plaisir de découvrir des nouvelles techniques,
de se perdre dans les couleurs était plus fort que sa maladie. Elle est tombée
dans le coma le lundi soir et est décédée le vendredi après-midi. Sa nièce et
sa sœur sont venues me voir pour me dire que la dernière grande joie dans la
vie de madame L. avait été sa séance d’art-thérapie. « Ça
a été son dernier grand bonheur. Elle nous en parlait à chaque fois et elle
était toujours très fière de montrer ses productions. On a mis un de ses
derniers dessins sur elle, dans son lit. ».
Ces séances aident les patients à
se sentir vivants jusqu’à la fin, à se sentir exister autrement : exister
avec la couleur, les matières, les traits, la production qui devient un tiers
visible, que l’on montre, que l’on donne à voir en les accrochant sur le mur de
la chambre. Ces créations montrent ainsi autre chose que la maladie. Elle
devient un support de discussion, de partage.
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