De plus en plus d’articles sur
l’art-thérapie sont publiés dans la presse « mainstream ». Ci-dessous
un article des Inrocks paru en août 2016. Contrairement à certains propos
rapportés dans l’article au sujet de la reconnaissance de l’art-thérapie en
France, nous rappelons que certaines formations en art-thérapie sont dorénavant
reconnues par l’Etat (Certification CNCP reconnue par le Ministère du Travail
et de la Santé), particulièrement celles enseignées et validées par certaines
écoles et instituts : AFRATAPEM, INECAT, PROFAC. Dikann
L’art-thérapie : quand créer peut soigner
Article de Robin Cannone paru
dans Les Inrocks, 27 août 2016 - http://mobile.lesinrocks.com/2016/08/27/arts/lart-therapie-creer-soigner-11859986/
Loin de la psychanalyse, des
thérapies cognitivo-comportementales et des approches psychothérapeutiques où
la relation patient-praticien est souvent décrite comme neutre et aseptisée, l’art-thérapie
apparaît comme une perspective de soin originale qui utilise le processus de
création artistique. Enquête sur une thérapeutique en vogue.
Et si on faisait appel à
l’artiste qui sommeille en nous afin de nous soigner ? C’est le point de
départ de l’art-thérapie, une approche thérapeutique dans laquelle un
“artiste-thérapeute” utilise ses connaissances artistiques pour aider des
patients à se soigner de troubles mentaux ou physiques.
L’idée que l’art peut être
cathartique ne date pas d’aujourd’hui ; d’Aristote
à Freud, on n’a eu de cesse de la théoriser. Puisant ses racines dans
l’étude des œuvres d’art produites par des malades mentaux, à l’image des productions
d’Adolf Wölfli, l’art-thérapie a évolué pour s’articuler autour d’un discours
entre thérapeute et patient basé sur la production artistique de ce dernier.
Malgré le franc succès qu’elle rencontre actuellement, la discipline connaît
quelques difficultés à produire des études scientifiques qui lui permettraient
d’être reconnue par l’Etat. Lumière sur une méthode thérapeutique encore trop
méconnue.
Créer pour soigner
“Ça m’a vraiment sauvé la
vie. L’art-thérapie peut vraiment sauver des vies.” Aujourd’hui,
quand Caroline parle d’art-thérapie, elle ne manque pas d’éloges et n’hésite
pas à recommander cette pratique “comme médicament, pour n’importe quoi et n’importe
quel art”. Cette quadragénaire d’abord passée par la psychiatrie
pendant une dizaine d’années pour gérer ses troubles addictifs a découvert
cette méthode thérapeutique il y a deux ans en rentrant dans un CSAPA
(Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie). Depuis,
Caroline se rend une fois par semaine à ses séances où elle est accompagnée par
un art-thérapeute qui l’aide à se soigner en pratiquant le slam.
À l’instar de la psychothérapie,
en art-thérapie on se soigne lors de séances individuelles ou de groupes, aussi
appelés ateliers. Et pour Caroline, le résultat est probant :
“Je vois les personnes
qui sont suivies là-bas d’une autre façon et le travail de groupe c’est ce qui
nous sort des entretiens entre quatre murs qui rendent dingue. La psychiatrie
rend dingue.”
Sans pour autant dénigrer les
thérapies verbales, Isabelle
Barthélémy, une art-thérapeute qui s’est lancée dans cette voie après
dix-huit ans de pratique, reconnaît que l’art-thérapie permet d’aller plus loin
lorsqu’elle est utilisée en complément d’une autre approche :
“ Je suis habituée à la thérapie
verbale relativement classique. Au bout d’une quinzaine d’années à exercer ce
genre de psychothérapie qui restait relativement ‘intellectuelle’, j’ai eu
l’impression d’avoir besoin d’autres outils pour aller plus loin. J’avais déjà
entendu parler de l’art-thérapie qui, par ailleurs, me correspond parce que je
pratique les arts plastiques. Je me suis dit que cela pourrait apporter quelque
chose de différent et peut-être de plus profond au processus thérapeutique.
Pour moi, il s’agit d’une poursuite du mécanisme de soin qui permet d’aller
plus loin. ”
Créer pour soigner, c’est
l’ambitieux challenge de l’art-thérapie. Caroline en est persuadée, on peut
guérir en créant :
“ Les mots ne sont pas quelque
chose d’anodin. A l’adolescence j’étais rentrée dans un mutisme après des
traumas qui n’ont jamais été résolus. J’étais vulnérable. Quand on les
prononce, ce sont nos mots à nous, donc forcément, on parle de nous. Ce ne sont
pas des paroles en l’air. On parle tranquillement avec des paroles réfléchies
et ça aide beaucoup. ”
Une notion encore floue
Si les résultats sont là (des études montrent que
l’art-thérapie réduirait le stress et l’angoisse, entre autres) et que de
plus en plus de gens s’y intéressent, l’art-thérapie reste une notion encore
trop méconnue. Régis Boguais,
praticien et enseignant en art-thérapie à l’université Panthéon-Sorbonne,
insiste sur la plasticité de la définition :
“ L’art-thérapie est quelque
chose qui est ‘à la mode’ en ce moment. Pour cette raison, beaucoup de monde se
la réapproprie. En plus de cela, il existe différents courants qui peuvent être
parfois en opposition. Par conséquent il est difficile de trouver une
définition qui englobe l’intégralité des pratiques même s’il existe des
dénominateurs communs […] Personnellement, j’aime bien l’idée que
l’art-thérapeute, ce n’est pas simplement un psychothérapeute qui utilise
l’art, mais davantage un artiste qui fait de la psychothérapie. ”
Même si les formations proposées
se multiplient – on peut notamment faire un doctorat en art-thérapie
aujourd’hui – la profession n’est pas réglementée, ni reconnue en France,
contrairement aux pays anglo-saxons où elle est bien institutionnalisée. Et
pour cause, elle est prise dans un cercle vicieux : le manque de
financement l’empêche de produire des études qui prouvent son efficacité et lui
permettrait d’être reconnue, mais comment la rendre attractive si les
consultations ne sont pas remboursées car la discipline n’est pas
reconnue ?
Pour contourner cette impasse,
des art-thérapeutes se sont rassemblés afin de créer la Fédération française des art-thérapeutes
(Ffat). Regroupant les principaux courants de
l’art-thérapie, elle définit cette dernière comme étant “une
pratique de soin fondée sur l’utilisation thérapeutique du processus de
création artistique”. En revanche, chaque praticien possède une
pratique qui lui est propre. Pour Régis Boguais, il existe quatre
prérequis indispensables pour que l’on puisse parler d’art-thérapie :
“ La présence d’un thérapeute, un
cadre thérapeutique défini (cadre horaire, réglementaire et spatial défini par
le thérapeute), une méthodologie validée scientifiquement et une indication (si
vous n’êtes pas malade, vous n’allez pas voir le médecin). ”
La relation basée sur la production artistique
Contrairement aux thérapies
verbales où le patient exprime ses émotions de vive voix, en art-thérapie, il a
la possibilité de s’exprimer à travers une ou plusieurs modalités artistiques
qui lui sont proposées : peinture, musique, sculpture, slam, danse, etc.
La création sert de cadre à la guérison. L’activité artistique agit comme un
détour, elle favorise notamment la baisse des défenses – mutisme, déni – que le
patient pourrait mettre en place dans une thérapie verbale. Cela dit, il ne
s’agit pas de placarder un diagnostic en observant les productions du patient,
ni de juger des qualités plastiques de cette dernière, comme l’explique Régis
Boguais :
“ On analyse plastiquement la
production de la personne, on regarde les ombres, les lumières, l’équilibre de
la composition, les thèmes… On a ensuite parfois un dialogue avec le patient.
En fin de session, on regarde l’ensemble des travaux pour regarder l’évolution
du travail. S’il y a des redondances ou des choses qui se modifient au cours
des séances, on peut l’évoquer avec la personne, mais on ne va jamais plaquer
notre propre interprétation des choses, même si on a une petite idée. ”
Pour Isabelle Barthélémy, c’est
aux patients, à travers leur réflexion avec le thérapeute sur leur production,
de “trouver une des solutions possibles à leurs problèmes”. La
relation thérapeute-patient est déterminée avant tout par la production
artistique, qui va servir de base à dialogue métaphorique :
“ Les patients attendent beaucoup
de nous les thérapeutes. Lorsqu’il y a une production au milieu, les patients
attendent moins du thérapeute. En fait, il accouche lui-même, métaphoriquement,
de sa propre production. ”
Soigner un large éventail de troubles
En outre, l’art-thérapie contribue à soigner un
large éventail de troubles psychiques et comportementaux allant de la dépression
légère à la schizophrénie. D’après Isabelle Barthélémy, elle peut aider les
personnes qui souffrent de divers troubles :
“Ça peut aller du TOC – qui peut ne pas paraître si
handicapant – à la schizophrénie ou la bipolarité. L’art-thérapie fonctionne
aussi très bien pour des troubles de conduite alimentaire (tout ce qui est
compris entre boulimie et anorexie). J’ai aussi des patients qui se posent
simplement la question du sens de leur vie. Très souvent en art-thérapie, on
cherche des moyens pour apaiser une forme d’angoisse et d’anxiété.”
Les troubles mentaux, mais pas seulement. Pour
Régis Boguais, “l’art-thérapeute peut se trouver dans des services de soin
somatique”, comme en cancérologie ou en réadaptation “où le but est
d’aider les personnes à traverser le vécu difficile de la maladie. On peut
aussi trouver des art-thérapeutes en milieu scolaire ou carcéral.”
Ainsi, l’art-thérapie apparaît comme une pratique
unique, novatrice et universelle, capable “d’apaiser les souffrances” de
tout un chacun, quelle que soit la raison pour laquelle il consulte, comme
l’estime Isabelle Barthélémy. En soi, l’art-thérapie n’est pas une pratique
absolue, puisqu’elle peut être utilisée en complément d’autres thérapies – elle
peut aussi servir de thérapie principale.
Comme le conclut Isabelle Barthélémy, l’apport de
l’art-thérapie est unique dans le monde du soin psychologique : “ L’art-thérapie laisse une trace non seulement
dans l’intellect, mais aussi dans le kinesthésique, c’est-à-dire dans le corps
– même s’il s’agit d’une trace qui peut être intellectualisée. C’est vraiment
cela la nouveauté apportée par l’art-thérapie. ”
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