Second article sur la question de l’art-thérapie dans le champ social intitulé « Médiation et insertion : accompagner autrement les personnes en exclusion (1) ». Cet article a été écrit par Martine Colignon, art-thérapeute, Centre d’étude de l’expression, hôpital Sainte-Anne, chargée d’enseignement à Paris V, 126, rue Mouffetard, 75005 Paris. Tél. 06 76 28 30 61.
Colignon Martine, « Médiation
et insertion : accompagner autrement les personnes en
exclusion », Empan, 3/2006 (no
63), p. 178-184.
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Présentation de l’article
Le frein
de la langue peut être facteur d’isolement et d’exclusion. Plus généralement,
cet isolement des personnes d’origine multiculturelle génère un
« mal-être », face auquel travailleurs sociaux, professionnels du
soin ou encore de l’insertion professionnelle se trouvent démunis. Créer des lieux intermédiaires relève d’une coconstruction
singulière.
Dans cette nouvelle configuration de l’accompagnement de la personne, la médiation artistique peut permettre de refaire du lien, de trouver des passerelles et des modes de traduction acceptables d’une culture à l’autre – culture d’origine vers culture d’accueil/exclusion vers inclusion de soi.
Dans cette nouvelle configuration de l’accompagnement de la personne, la médiation artistique peut permettre de refaire du lien, de trouver des passerelles et des modes de traduction acceptables d’une culture à l’autre – culture d’origine vers culture d’accueil/exclusion vers inclusion de soi.
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« Je viens d’arriver en France. Je suis
dans la salle d’attente d’un cabinet médical. En face de moi, une jeune femme
dessine. Je m’aperçois que c’est moi qu’elle dessine. Je veux lui dire :
non, et lui expliquer pourquoi. Je ne peux pas. Je prends le carnet et le
déchire. S’ensuit une réaction que je ne comprends pas et à laquelle je ne peux
pas répondre. Je ne parle pas français. »
Cette
scène s’est passée dix ans auparavant. Elle reste très prégnante dans le
souvenir d’une femme, d’origine sénégalaise, que je reçois en atelier (2). Elle
vit seule avec ses trois enfants. Deux sont restés en Afrique. Elle n’a pas
d’emploi. Les petits boulots, qu’elle a occupés jusque-là, ont participé au
sentiment d’isolement qu’elle exprime dans sa peinture et à une forme de
désinsertion, plutôt qu’au maintien d’un statut social.
Ne pas
parler la langue du pays d’accueil, ne pas en comprendre les codes, se
retrouver dans des situations sans repère, et donc en décalage par rapport à
ses représentations, participent peu à peu à un repli et au sentiment de ne
pouvoir agir sur son environnement.
À partir
de cet exemple, je vais développer ma réflexion dans deux champs. Le premier
est celui des apprentissages et notamment celui de la langue. Au travers de ma
pratique d’art-thérapeute, dans le champ de l’insertion sociale et
professionnelle, j’aborderai la question de la médiation et ce qu’elle peut
apporter à des femmes issues de l’immigration, qui ont des difficultés pour
s’adapter à la société d’accueil.
Le
deuxième champ touche les personnes en déshérence sociale et professionnelle,
dites en exclusion. Ces personnes ont, la plupart du temps, renoncé à toute
forme d’aide. Je tenterai de montrer en quoi la médiation peut permettre de
refaire du lien et constitue une aide et un soutien à la personne. Ces deux
cadres mettent en avant des problématiques de lien social. Celui-ci étant
distendu et source de « mal-être ».
Pour
répondre à ce « mal-être », l’utilisation de la médiation
définit-elle un cadre spécifique de l’accompagnement ? Je suis tentée de
dire oui.
J’aborderai
donc, dans une troisième partie, la place de la médiation dans le champ plus
global de l’insertion, la visibilité du travail de soutien qu’elle engendre et
le nécessaire travail en réseau.
L’utilisation
d’une médiation démontre la nécessité pour ces personnes de réinvestir un
espace, à la fois personnel et au croisement de plusieurs cultures. Des formes
d’expression diverses y sont déployées. Elles éprouvent le besoin, parfois, de
mettre en œuvre et en scène un récit, issu de leur parcours de vie et souvent
en lien avec leur pays d’origine et leur départ. L’expression permet de
rejoindre et de déployer des ressources personnelles, de préserver une identité
et en même temps d’élaborer des aménagements, nécessaires à la compréhension de
la culture d’accueil pour s’y adapter. Il s’agit pour elles de retrouver, petit
à petit, un sentiment d’efficacité et de compétence favorable au changement de
perception de leur environnement. Dans le cadre de l’apprentissage des bases de
la langue, c’est un point important que je vais maintenant développer.
L’apprentissage de la langue…
Tout
d’abord, ces femmes sont en France depuis de nombreuses années (entre cinq et
vingt ans). Elles ont bien souvent suivi leur mari. Elles maîtrisent peu la
langue française et ont du mal à se faire comprendre. Elles sont souvent
submergées par les tâches familiales et les problèmes de la vie quotidienne.
Enfermées dans le cercle familial ou la communauté, elles n’ont pas, ou peu,
développé de repères en dehors de leur quartier. Ces repères se résument
parfois à un cercle restreint autour de leur habitation. La plupart du temps,
elles sont demeurées soumises à des maris qui n’ont pas encouragé leur prise
d’autonomie.
Si la
langue est un réel handicap, il n’est pas le seul. Peu ou pas alphabétisées
dans leur pays d’origine, elles rencontrent des difficultés pour suivre des
cours classiques d’alphabétisation.
Concernant
leur projet professionnel, il est souvent inexistant, faute de représentations
adéquates du cadre de l’emploi en France et des compétences qu’elles pourraient
y valider. La majorité d’entre elles n’ont pas travaillé, en dehors de
l’économie familiale. Peu qualifiées, elles n’ont donc pas accès aux formations
proposées par les acteurs de l’insertion. Tous ces handicaps, auxquels
s’ajoutent encore des problèmes de santé, sont de véritables entraves pour
penser, apprendre et entreprendre, doublées d’un sentiment de culpabilité de ne
pouvoir accompagner leurs enfants dans leur scolarité.
Lorsqu’elles
viennent nous voir, elles sont dans une urgence d’apprendre le français. Elles
expriment aussi, et avant tout, un sentiment d’isolement très fort, la communication
sociale est effectivement extrêmement réduite. Sous leur demande explicite se
cache une véritable détresse. Avant même de penser l’apprentissage de la
langue, il faut répondre au besoin de consolidation du lien social ; les
aider à se donner un droit de prendre du temps pour soi.
La
plupart des peintures qu’elles réalisent s’appuient sur les dessins et les
décors qu’elles trouvent dans leurs cultures. L’expression de soi passe alors
par les récits qu’elles font, à partir de ces peintures ou encore des mises en
espace et en scène au travers d’éléments plastiques qu’elles fabriquent. La
combinaison des deux permet de trouver des bases communes pour rétablir une
communication et rejoindre leurs processus d’apprentissage. Des correspondances
peuvent s’établir ainsi entre différents modes de représentation.
Au-delà
de tous ces freins, elles ont mis en place dans leur effort d’adaptation, au
sein de la famille et de l’entourage, des stratégies et des savoir-faire qui
peuvent devenir, une fois repérés et nommés, de véritables compétences.
Cependant l’estime de soi est fortement atteinte et l’accès à ces savoir-faire
et savoir-être reste difficile. Seules, elles ne parviennent pas à trouver des
équivalents d’une culture à l’autre, pour les repérer et les mettre en œuvre
dans un projet de vie et professionnel.
Faire,
par le biais de la médiation, permet de dénouer l’angoisse et d’exprimer des
problématiques douloureuses, souvent d’ordre identitaire, qui n’ont pas trouvé
d’espace pour se dire. L’acte de peindre les autorise à rejoindre et à
valoriser des connaissances souvent empiriques. Processus créatifs et
apprentissages se croisent et se complètent, servant ainsi à déverrouiller des
peurs. Ce processus de faire pour apprendre facilite le croisement des
imaginaires et des connaissances, multiculturelles. Peindre ensemble, c’est
pour elles se reconnaître et s’interpeller en tant que sujet. La peinture joue
alors un rôle de passerelle et de lien entre des expériences concrètes,
véritablement reconnues et valorisées, et des savoirs à acquérir. Elle est un
liant entre des acquis empiriques et des opérations abstraites contenus dans
l’apprentissage des bases de la langue. Par l’acte de peindre, il est plus
facile de rejoindre et d’expérimenter des démarches ou des outils de formation.
Ce qui revient à dire que le socle est déjà préexistant au cadre pédagogique.
Les processus créatifs vont permettre de le rejoindre, de l’installer, de le
préserver et de l’agrandir. En effet, si ce socle devient tangible, il est
alors garant pour elles et l’art-thérapeute des avancées qu’elles sont en
capacité d’accomplir.
Les
exercices plastiques déplient de manière concrète ce qui, dans un premier
temps, leur paraît inaccessible. Pour l’art-thérapeute, il s’agit, au travers
de certaines consignes, de comprendre comment ces femmes apprennent. De
trouver, avec elles, des modalités de transfert de leurs connaissances pour qu’elles
s’autorisent à les mettre en œuvre. Trouver des analogies en leur permettant
d’expérimenter. Il est question de retrouver ses propres capacités
d’organisation, de résolution et de réalisation. Les processus créatifs
s’adaptent ici aux processus d’apprentissage et les alimentent.
Là d’où
elles viennent (j’entends leur multiculturalité) et là où elles vont, avec
leurs repères culturels, demandent à l’art-thérapeute d’être dans une constante
improvisation. Il doit pouvoir ajuster son intervention et cela en trouvant
d’autres modes de communication que la parole car l’énoncé d’une consigne peut
être mal compris. La reformulation n’assure pas alors son rôle de renforcement.
Il faut montrer en partant de leur quotidien ou de ce qu’elles apportent le
jour même dans la séance d’atelier, déplier sans cesse pour que quelque chose
advienne et trouve un espace pour s’y déployer. Si peindre devient un moment
privilégié, un espace de liberté, le temps d’approche est long en ce qui
concerne l’association art et apprentissage.
D’autres paramètres sont à
prendre en compte
Cet acte
inscrit une temporalité plus proche de celle des femmes. Leur rythme de vie est
différent. Leur nonchalance interfère souvent dans leur façon d’appréhender les
consignes et d’y répondre. Prise dans le rythme de la création, elle devient
supportable. Le groupe fonctionne à son rythme. Les individus aussi. La vitesse
d’assimilation n’est pas un facteur de dévalorisation. Les processus créatifs
peuvent permettre de s’y ajuster en invitant le désir et le plaisir de faire,
de rejoindre des mouvements de vie, sans contrainte, et c’est déjà beaucoup.
Les allers-retours entre expression collective et individuelle favorisent les
échanges et constituent un préambule nécessaire d’accès aux savoirs.
Le
sentiment de culpabilité dont je parlais, lié au parcours scolaire de leurs
enfants, ne doit pas être réactivé par le sentiment de se retrouver à égalité
avec eux, voire en infériorité. La place de la mère et de la femme est
préservée, parfois utilisée comme levier. La personne est bien au centre de son
apprentissage, et non le savoir. L’aventure plastique parle bien de cela aussi.
Elle permet de mieux se distancier d’une forme d’enseignement auquel elles
n’ont pas encore accès pour pouvoir ensuite le rejoindre, en tant qu’adulte
voulant progresser dans un domaine de connaissance choisi.
Si ces
femmes ne sont pas encore en capacité de rejoindre ces cours, la médiation leur
permet d’en prendre le chemin.
Les personnes en déshérence
sociale et professionnelle
J’en
viens maintenant à des personnes qui ont fréquemment quitté les formes
d’accompagnement courantes et face auxquelles les acteurs sociaux se trouvent
souvent démunis. Leur parcours comporte de nombreuses ruptures de vie qu’elles
n’ont pu affronter. En grande précarité, dites en exclusion, elles ne sont
effectivement pas en mesure de penser rejoindre une formation, encore moins de
se projeter dans un avenir professionnel. Pour ces personnes d’origine
multiculturelle et de tous niveaux de qualification, le lien social est
totalement désinvesti alors qu’il faudrait le renforcer.
L’accompagnement
mis en place, qu’il soit social ou au niveau du soin, est souvent vécu comme
intrusif et humiliant. Ce sentiment est fréquemment renforcé par des suivis
administratifs multiples, qu’elles vivent comme un contrôle de leur situation et
qui les installe dans un statut qu’elles rejettent (cotorep,
rmi). Elles peuvent d’ailleurs elles-mêmes démultiplier des demandes
d’aide sociale, entraînant un déballage incessant de leur parcours de vie
auprès de multiples interlocuteurs. Tout cela participe au renforcement du
sentiment de morcellement et de la perte de sens en général de tout projet. Le
suivi de ces personnes est difficile à mettre en place. L’instabilité ou la
difficulté à investir une activité est pénible à tenir, pour elles et pour les
travailleurs sociaux. Comme elles, ils sont renvoyés à un sentiment
d’impuissance. Si elles souhaitent échapper à toute offre d’aide, c’est que, a
fortiori, il est suspect de s’intéresser à elles. Si une demande existe, elle
est le plus souvent adressée en termes d’urgence et de manière dramatique.
Urgence à laquelle nous ne pouvons et ne devons pas répondre, sous peine de
renforcer le mécanisme de l’exclusion. J’entends par là le renforcement des
allers-retours incessants, sans sortie ou sans réalisation positive. Tentatives
effectives et mises en échec de ces tentatives se confondent. La personne se
place alors en position de victime d’un engrenage auquel elle ne peut échapper.
Entendu comme tel, cet aménagement du pire tourne à vide et ne permet aucune
prise sur la réalité de la situation, encore moins sur un devenir pour sortir
de l’exclusion.
La
détresse de ces personnes peut être stigmatisante, ou vécue comme telle, si vie
et soin sont confondus. Le plus souvent d’ailleurs, elles ne souhaitent pas
entendre parler de soin psychologique. Nous devons comprendre que cette mise à
distance des approches spécialisées exprime chez elles, le plus souvent, la
peur du stigmate de la folie. Il est souhaitable alors de savoir et de
s’entendre sur ce que l’on met derrière ces termes de « malaise »,
« mal-être » ou encore « se sentir mal », pour construire
un espace commun de réflexion et de travail avec les différents acteurs d’un
territoire qui font partie de leur environnement. Ce que ces personnes
expriment – la difficulté de communiquer, les tensions de tous ordres, le
rejet, les comportements d’échec qui s’enchaînent et font qu’on n’a plus le
goût à rien, le sentiment de ne plus avoir de place, d’être inutile – devrait
permettre de penser l’accompagnement et de mettre en œuvre des actions et des
cadres spécifiques.
Espace intermédiaire, espace-relais, l’atelier
utilisant une médiation offre un lieu où détresse et refus du soin peuvent être
entendus comme tels.
Il n’y a alors pas d’autre intention que de rendre présent à soi ce qui peut
l’être, ce qui est possible ou encore recevable.
L’atelier
n’est ni un espace de soin, ni d’accompagnement social, ni d’insertion
professionnelle, ni un espace d’écoute au sens classique du terme. Il peut
cependant être introduit par un/ou plusieurs de ces champs. Il peut aider la
personne à accepter d’être aidée et à reprendre soin d’elle. De par son cadre,
l’atelier met en avant et s’appuie sur la capacité de la personne, au travers
de l’expression, d’inviter la présence, quand elle peut et au rythme qui lui
est propre, de le tricoter avec un tiers, sans contrainte, avant même de
vouloir relancer une dynamique personnelle. La création peut inviter
cela : une présence par à coups, sachant que la personne est prise dans
des urgences de survie et ne peut pas faire autrement. Cet autrement peut être
réintroduit par la création. Il faut cependant beaucoup de temps. L’artiste le
sait, il en fait l’expérience constamment. On invite ou pas cette
disponibilité. L’autorisation à entrer dans les processus créatifs est une
bataille, dans laquelle on ne peut s’engager de plein fouet et sans arme.
Or, dans
le suivi de ces personnes, les principales difficultés sont bien mobilisation
et continuité. Il faut faire avec ce temps hachuré de présences et d’absences,
voire de disparition. Avancer doucement pour pouvoir convoquer l’envie d’être
là en l’apprivoisant. C’est un premier écueil.
Les
autres difficultés sont l’expression dramatique de la dévalorisation de soi
mais pas du désintérêt. Cela est important à considérer. La médiation permet de
réintroduire une communication qui a été coupée ou endommagée. Cela est
possible si l’art-thérapeute est en mesure d’entendre qu’il peut éveiller de
l’intérêt pour l’expression. Je dis cela, car la plupart du temps, ces
personnes pensent ne rien avoir à faire avec ça. Ça ne les concerne pas.
D’autant plus que l’art est lié au culturel et donc loin d’elles.
Il
s’agit donc, dans un premier temps, d’accepter d’y être, pour y être sans
savoir. J’ajouterai : sans savoir-faire. L’atelier offre un lieu où se
poser.
Au
départ, une question : celle de l’art inclus dans la relation de soutien.
Accepté comme tel, l’atelier offre alors un point d’ancrage. Faire rend
accessible une certaine perméabilité aux choses du dehors et aux autres. Des
liens peuvent alors se retisser, aussi ténus soient-ils.
À partir
des récits que font les personnes qui viennent à l’atelier, j’ai relevé ce qui
suit : « L’atelier est un point fixe et fort à partir duquel je peux
commencer à recoller les fragments de mon histoire, à la recoudre pour en
dessiner le trajet et non plus les ruptures, sans faire déballage de ma vie et
sans que l’on me propose une orientation. C’est moi qui décide d’être là, quand
je l’autorise et peux le supporter. Je fais avec les moyens
que je choisis ou qui me sont accessibles à ce moment-là. C’est un travail
d’exister, pour lequel on ne me fixe aucun objectif et aucune contrainte, si ce
n’est le cadre de fonctionnement de l’atelier. J’y trouve un quelque chose, des
moyens pour lui donner forme, un entre-deux, qui me permet d’amorcer un passage
difficile de l’exclusion à l’inclusion de soi. Peindre pour retrouver un flux,
une mobilité. Peindre pour se surprendre à faire, alors que tous les efforts
ont été vains jusque-là et n’ont pu prendre forme. »
Dans cet
ordre de pensée, l’atelier utilisant une médiation propose une démarche, non
pas des outils. Cette démarche prend en compte l’accompagnement de la personne
dans sa globalité. Pour le dire autrement, dans une démarche plus large de
réinsertion, l’atelier se décentre des dispositifs, en mettant la personne au
cœur de l’accompagnement. Il ne s’agit pas d’actualiser un potentiel personnel
et de trouver une orientation adéquate qui lui permettrait de retrouver un
emploi. La médiation ne se pose pas en moyen d’y parvenir. Elle est
constitutive de l’aide et du soutien à la personne et se situe bien en amont de
ces dispositifs.
Elle
peut, face aux logiques des dispositifs d’insertion, qui à un moment donné,
n’assurent plus leur rôle de réimpulser une trajectoire, être un relais, un
socle pour repenser un départ vers le travail. Or, dans le champ de
l’insertion, les travailleurs sociaux sont directement exposés à la souffrance
liée à l’exclusion. En manque d’outils et de formation, ils ne peuvent offrir
le plus souvent des solutions adaptées.
Dans ce
champ encore, l’orientation vers des ateliers utilisant une médiation est trop
peu souvent pratiquée et les actions d’accompagnement qu’ils impulsent restent
souvent expérimentales. Cette orientation, pour les acteurs sociaux, peut
paraître effectivement difficile. Face à des personnes qui sont dans des
priorités de survie et dans des urgences de régler des problèmes au jour le
jour, comment parler de peinture ? Quoi dire à propos de ce qui est mis en
jeu dans ces ateliers ?
Il y a
encore beaucoup d’impensé en termes d’accompagnement des personnes en exclusion
et beaucoup du côté de la visibilité de ce type d’ateliers. Je relève dans les
ateliers que j’anime, une présence de plus en plus forte de personnes en grande
précarité, qui sont orientées par des centres de soin, via
des assistantes sociales ou des psychologues. Parmi elles, des personnes qui
refusent, en dehors du champ purement médical, de s’engager dans un suivi
thérapeutique. Or ces ateliers utilisant une médiation ne peuvent et ne doivent
pas se substituer au travail des cmp, très engorgés
par ailleurs. Un travail en réseau et en partenariat étroit avec les acteurs
sociaux et les professionnels du soin est devenu nécessaire. Construire une
approche de la souffrance psychique et sociale relève d’une coconstruction
travailleurs sociaux/soignants. C’est une élaboration singulière.
Je
terminerai enfin par ceci : se retrouver confronté à des difficultés
auxquelles on n’a pas été préparé fait éclater les repères et les
autocontrôles. Dans le lieu de la création, l’artiste se risque à entendre
« la dictée intérieure » et à rejoindre son « matériau
intérieur ». Cette immersion s’opère par de nombreux détours et par
paliers successifs. Elle exerce une tension qui, s’il n’y a pas de réalisation,
peut atteindre la pensée. Au-delà des représentations culturelles, cette
expérience intérieure est réactivée en situation d’accompagnement. Cette réactivation
est nécessaire pour guider les personnes vers un dépassement des freins et des
blocages liés aux apprentissages ou à une réinscription sociale. Il ne s’agit
pas de laisser faire mais d’amener la personne à réorganiser son environnement
et la perception qu’elle en a, pour y retrouver une place et une action. Au
moyen de champs d’expression, les plus divers possibles, car il s’agit
d’adapter les moyens d’expression aux difficultés des personnes, de les rendre
intelligibles pour qu’elle puisse s’y adapter, y penser et y agir.
En
conclusion, dans le champ de l’insertion sociale et professionnelle, la
médiation doit pouvoir amener la personne à se poser la question du pourquoi ?
Avant même de penser une possible démarche d’insertion : pourquoi le
travail ? Comment le travail ? Comment le réinscrire dans ma
vie ?
Et,
avant tout, remettre en marche un projet de vie.
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Notes
11. Intervention lors de la Journée
d’étude du 28 janvier 2006. Centre d’étude de l’expression, Sainte-Anne, Paris
V : « La médiation artistique : mode ou nécessité ? »
2. Atelier et actions inscrits au
sein de l’association TMD (Travail modes d’emploi),
Paris XX.
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