mercredi 15 janvier 2014

Le groupe thérapeutique et l'art-thérapie / 1




Introduction au groupe


Si le terme « groupe » est un mot récent dans les langues européennes (XVIIe siècle), la notion de groupe était reconnue depuis l’Antiquité. De même, les vertus thérapeutiques du groupe, ses fonctions de développement et de maintien de la vie psychique, son pouvoir de protection et de défense en échange d’un contrat d’appartenance au groupe, étaient connus et utilisés depuis très longtemps.

L’étymologie même du mot « groupe » donne d’ailleurs des indications quand à l’essence du groupe : en italien « gruppo » signifiait « noeud » avant de devenir « assemblage » puis « réunion » tandis qu’en langue germanique, « Kruppa » signifiait « rond ». Le terme « groupe » reposerait donc sur les notions de liens et de cercles qui sont particulièrement opérantes sur la nature des groupes et les phénomènes de groupes, notamment dans le champ thérapeutique.

Le terme « groupe » est donc récent dans l’histoire des langues, notamment parce que le concept objectif de groupe fut gêné par des préjugés individuels et collectifs : la notion de groupe est inexistante pour la plupart des sujets ; le groupe est éphémère, dominé par le hasard et seules existent les relations interindividuelles. Paradoxe intéressant quand on sait que le groupe peut faciliter la re-création de lien, redonner confiance à la personne individuelle et donc la re-subjectiver.

Mais comme le souligne Didier Anzieu, la résistance au groupe viendrait également de la difficulté générale chez tous les êtres humains à se décentrer. Il existerait deux perceptions contradictoires du groupe : d’un côté, on est plus ensemble que séparément et le groupe est un intermédiaire entre l’individu et la société. Mais d’autre part, le groupe peut signifier une aliénation pour la personnalité individuelle. Le groupe est alors perçu comme dangereux pour la dignité, la liberté, l’autonomie… Le groupe ne peut et ne doit alors être vécu que totalement.

Le groupe peut aussi être vécu par ses membres comme quelque chose de naturel, inévitable, permanent. Surtout, il est considéré comme antérieur et supérieur à l’individu. Le groupe est un fait global dont le membre est une partie interne, assez indistincte. La partie tend à la fusion dans le tout : le membre ne se pose pas de questions sur le groupe, il le vit dans, par et pour le groupe : groupe où l’on entre par la naissance, le travail en commun, les distractions en commun, la production en commun… Un peu à la manière des clans, tribu, famille, l’individu isolé du groupe pour une raison ou une autre ne sait pas et/ou ne peut pas survivre.

Le fait d’être membre d’un groupe, et ce, dès la naissance, demande d’intégrer psychiquement les lois du groupe qui ont la forme d’obligations et d’interdits. D’un point de vue général, ainsi que l’a supposé Freud, la psychologie des masses est plus ancienne que la psychologie individuelle. En d’autres termes, le groupe nous précède bien avant notre naissance et lorsque nous naissons, nous n’avons pas d’autre choix que d’être assujetti au groupe.

En fait, le groupe présente deux aspects contradictoires, positif et négatif : il protège l’individu mais celui-ci se trouve alors soumis à un contrat qui peut devenir aliénant. René Kaës résume parfaitement cet aspect ambivalent du groupe : « C’est dans les groupes que s’établissent et se transmettent les contrats qui organisent les savoirs communs, les idéaux partagés, les systèmes de défense et de protection mutuels. Dans toutes les sociétés et à toutes les périodes de l’histoire, le groupe a été utilisé comme outil de production et de reproduction de la vie psychique, des valeurs morales, des savoir-faire, de la richesse des idées… Son rendement est alors estimé supérieur à celui de la somme des énergies individuelles. Prise de conscience collective de cette propriété opérée au début du XXe siècle, lorsque l’instrumentalisation du groupe s’est mise au service des besoins de l’industrialisation. Une force dynamique du groupe est reconnue à la fois dans ses aspects positifs et négatifs ».


Le groupe thérapeutique

Si le terme « groupe » apparaît donc au XVIIe siècle, ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’il va connaître une entrée en force dans le langage courant en Occident pour désigner et s’appliquer à tout ensemble partageant un but commun. Les changements économiques et sociaux, notamment la révolution industrielle, avec la phase d’industrialisation sans précédent qu’elle a engendré, contribuèrent à accentuer cette tendance.

Sur le plan thérapeutique, on attribue à Joseph Hershey Pratt la paternité de la psychothérapie de groupe lorsqu’en 1905, pour des questions d’ordre économiques, il eut l’idée de re-grouper des personnes atteintes de la tuberculose. Avec le temps, il constata qu’une influence thérapeutique s’exerçait sur les patients entre eux. Ce fut le début d’une prise de conscience que le lien intersubjectif soignait et par extension, qu’il devenait une alternative à l’isolement. La pratique allait montrer plus tard que le groupe représente une enveloppe psychique contenante qui joue dans le traitement de certains patients : cette enveloppe reçoit les fantasmes, les identifications qui vont permettre à la fois au sujet d’être et de sentir une appartenance à ce groupe.

Mais c’est véritablement Freud qui, par l’émergence de la psychanalyse, va donner à la notion de groupe toute sa consistance et sa force dans le champ thérapeutique. Il va engager ses recherches avant la Première Guerre Mondiale et ses travaux vont être repris et développé après la Seconde Guerre Mondiale par des chercheurs américains et européens essentiellement. Pour être plus précis, jusque dans les années 1940, les recherches menées sur le groupe portent sur l’intérêt du groupe dans la thérapie de l’individu et le groupe apparaît comme une autre forme de thérapie. Et c’est après 1940 que les recherches s’orientent vers une vraie invention psychanalytique du groupe comme entité, notamment avec les travaux de Bion et Foulkes.

C’est à travers trois ouvrages majeurs, synthèses de ses travaux et recherches, que Freud va initier le concept de groupe et analyser la formation et les processus qui rendent compte de la réalité psychique du groupe.

Dans Totem et tabou, écrit en 1913, Freud initie le concept de groupe et fait l’hypothèse d’un fonctionnement psychique propre au groupe. A travers le mythe de la horde primitive, il élabore une métaphore qui rend compte de la formation du groupe : à l’origine de l’humanité, il y avait une horde primitive, un groupement humain sous l’autorité d’un père tout puissant qui avait seul accès aux femmes. On présuppose alors que les fils du père, jaloux de ne pouvoir posséder les femmes, se rebellèrent et le tuèrent, pour le manger en un repas totémique. Une fois consommé, le remord se serait emparé des fils rebelles, qui érigèrent en l’honneur du père, et par peur des représailles, un totem à son image. Afin que la situation ne se reproduise pas et pour ne pas risquer le courroux du père incorporé, les fils établirent des règles, correspondant aux deux tabous principaux. Ces deux tabous débouchèrent sur la mise en place d’un pacte : le renoncement à la possession de toutes les femmes (inceste) et l’interdit du meurtre. Pacte résultant de l’échec, par incorporation, de l’introjection des qualités du père mort en chacun. Freud met ainsi en lumière le premier modèle du groupe basé sur l’incorporation.

Dans Psychologie des masses et analyse du Moi, en 1921, Freud propose un second modèle du processus psychique du groupe à savoir l’identification. Cette identification prend naissance dans l’idéal du Moi transféré dans une figure idéalisée (le leader) qui implique un abandon des idéaux de l’individu et une perte de ses objets d’identification. Freud parle alors « d’esprit de corps ». Le second modèle du groupe est donc basé sur l’identification.

Enfin, dans Le Malaise dans la civilisation, en 1929, Freud élabore un troisième modèle basé sur le renoncement mutuel à la réalisation directe des buts pulsionnels. En échange de la protection garantie par le groupe, le sujet renonce à ses pulsions.

Selon René Kaës, ces trois modèles fournissent les bases du développement ultérieur des théories psychanalytiques du groupe. Ils contiennent trois hypothèses fondamentales :
-      L’hypothèse d’une organisation groupale de la psyché individuelle.
-      L’hypothèse que le groupe est le lieu d’une réalité psychique spécifique.
-      L’hypothèse que la réalité du groupe précède le sujet et la structure.


Après la Seconde Guerre Mondiale, en Angleterre, les psychiatres Wilfried Ruprecht Bion et Sigmund Heinrich Foulkes, confrontés aux problèmes des névroses traumatiques et aux limites de la cure individuelle pour faire face aux urgences, commencent à penser le groupe thérapeutique. Ils mettent notamment à jour les phénomènes groupaux telle que la dimension imaginaire dans les groupes et abordent la psychothérapie analytique du groupe. Leurs recherches auront une influence importante sur l’application des psychothérapies groupales dans les institutions. Bion axe principalement ses travaux de recherches sur la question du niveau émotionnel au sein des petits groupes tandis que Foulkes élabore l’analyse de groupe comme moyen de traitement qui combine la compréhension groupale et l’analyse individuelle.

Mais c’est à partir des années 1960 que se développe véritablement une théorisation sur les groupes dus aux mouvements sociaux et aux changements de repères qui influent sur les relations et les liens intersubjectifs dans les groupes (la notion de groupe touchant aussi bien la famille, les institutions, collectivités, entreprises… et même la question de la nation avec la question du « vivre ensemble »). C’est ainsi que des techniques groupales sont expérimentées, notamment par Jean-Bertrand Pontalis, Didier Anzieu et René Kaës qui reconnaissent au groupe sa valeur d’objet psychique pour les sujets qui le composent. C’est dans ce contexte que naît l’école française psychanalytique de groupe et que des concepts originaux autour du groupe voient le jour. 

Publié par Dikann



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